Accueil du site

Sommaire politique

Le démocrate

Cont@ct

 

Citations démocrat(iqu)es

et quelques anti...

 

[09/2017]

 

 

Cléon

 

« Allons-nous oublier […] que l’on tire meilleur parti d’une ignorance associée à une sage pondération que d’une habileté jointe à un caractère capricieux, et qu’en général les cités sont mieux gouvernées par les gens ordinaires que par les hommes d’esprit plus subtil ? Ces derniers veulent toujours paraître plus intelligents que les lois […]. Les gens ordinaires au contraire […] ne prétendent pas avoir plus de discernement que les lois. Moins habiles à critiquer l’argumentation d’un orateur éloquent, ils se laissent guider, quand ils jugent des affaires, par le sens commun et non par l’esprit de compétition. C’est ainsi que leur politique a généralement des effets heureux. »

(cité par Thucydide, « La Guerre du Péloponnèse », II, 37, in Œuvres complètes, Gallimard, « La Pléiade », Paris, 1964).

 

 

Aristote (-387 - -322)

 

« il est considéré comme démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort et comme oligarchique qu’elles soient électives »

(Politique, IV, 9, 1294 b 7-9).

 

« Les élections sont aristocratiques et non démocratiques : elles introduisent un élément de choix délibéré, de sélection des meilleurs citoyens, les « aristoï », au lieu du gouvernement par le peuple tout entier. »

(Politique, IV, 1300b4-5).

 

 

Francesco Guicciardini (6 mars 1483 à Florence - 22 mai 1540 à Arcetri)

« il convient que tous les citoyens participent aux honneurs et aux bénéfices que peut procurer cette république. S'ils n'étaient pas réparties de façon universelle ce serait comme si une partie de la cité dominait sans partage que l'autre était réduite en esclavage. Les tenants de l'élection affirment que celle-ci sélectionne pour les offices les personnes les plus choisis car il semble que ceux en faveur desquels se tourne le jugement d'un plus grand nombre aient davantage de mérites. Le problème naît simplement du fait qu'il y à une sorte d'hommes qui ont été favorisés au jeu de dés de la vie, qui ont raflé toute la mise et qui pensent que l'état leur appartient, parce qu'ils sont plus riches, qu'ils sont considérés comme plus nobles ou qu'ils ont hérité de la réputation de leur père et de leurs aïeux. Et nous qui avons été défavorisé au jeu de dés de la vie nous ne mériterions pas ces dignités. Pourtant nous sommes citoyens et membres du conseil comme eux et le fait d'avoir plus de biens, plus de parents renommés et d'avoir une meilleure fortune dans la vie ne fait pas qu'ils soient plus citoyens que nous ; quant à la question de savoir qui est le plus apte à gouverner, nous avons autant d'esprit et de sentiment qu'eux, nous avons une langue tout comme eux et si nous manquons peut-être par rapport à eux de désir et de passion, ce sont là des facteurs qui corrompent le jugement. »

 

La suppression de la procédure dite du plus grand nombre des fèves n'ouvrira donc pas la voie aux personnes non compétentes, mais lèvera la barrière que constitue pour nous le fait de ne pas avoir autant de biens, de réputation et de parents qu'eux. S'il s'avérait fondé que ce mode de scrutin aboutisse à élargir le gouvernement, cela ne mériterait pas que l'on pousse des cris d'orfraie ni que l'on craigne qu'il ne s'ensuive des désordres. En effet, les magistratures sont normalement collectives, et non pas exercées par un seul individu. Il serait étonnant que, dans ce nombre, il ne se trouve pas une partie suffisante des membres à laquelle les autres défèrent, et ces derniers seront plus souvent des nôtres, qui faisons plutôt profession d'être gouvernés que de gouverner et qui s'en remettent volontiers à ceux qui en savent davantage. Il serait plus honnête de tolérer ce désordre relatif que de nous exclure à perpétuité, comme si nous étions des ennemis ou des citoyens d'une autre cité, ou comme si nous étions, soit dit sauf votre respect, des ânes, et qu'il nous revenait de toujours porter le vin et de ne boire que de l'eau. Nous payons les divers impôts plus qu'ils n'en payent de leur côté, car nous sommes pauvres et toute charge supplémentaire nous accable, alors qu'il n'en va pas de même pour eux : pour quelle raison ne pourrions-nous pas nous aussi profiter du bien de la cité ? Nous sommes citoyens et membres du Conseil tout comme eux, et le fait d'avoir plus de biens, plus de parents renommés ou d'avoir eu une meilleure fortune dans la vie ne fait pas qu'ils soient plus citoyens que nous ; quant à la question de savoir qui est le plus apte à gouverner, nous avons autant d'esprit et de sentiment qu'eux, nous avons une langue tout comme eux, et si nous manquons peut-être par rapport à eux de désir et de passion, ce sont là des facteurs qui corrompent le jugement.

https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2009-4-page-85.htm

(Du mode d'élection aux offices dans le Grand Conseil)

 

 

 

Baruch Spinoza

 

« Que si tout cela se fait par une assemblée sortie de la masse du peuple, l’État s’appelle démocratie ; si c’est par quelques hommes choisis, l’État s’appelle aristocratie ; par un seul enfin, monarchie. »

(Traité politique, chapitre II : « Du droit naturel », paragraphe 17).

 

« En effet, il y a cette différence principale entre le gouvernement démocratique et l’aristocratique, que dans celui-ci le droit de gouverner dépend de la seule élection, tandis que dans l’autre il dépend, comme je le montrerai au lieu convenable, soit d’un droit inné, soit d’un droit acquis par le sort »

(Traité politique, chapitre VIII : « De l’aristocratie », paragraphe 1).

 

« Ce qui [...] distingue essentiellement [la démocratie} du gouvernement aristocratique, c’est que, dans ce dernier, la seule volonté du conseil suprême et une libre élection font nommer tel ou tel citoyen patricien, en sorte que nul ne possède à titre héréditaire et ne peut demander ni le droit de suffrage, ni le droit d’occuper les fonctions publiques, au lieu qu’il en est tout autrement dans le gouvernement dont nous allons parler. »

(Traité politique, chapitre X : « De la démocratie », paragraphe 1).

 

 

Montesquieu

 

« Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie. Le suffrage par le choix est de celle de l'aristocratie. Le sort est une façon d'élire qui n'afflige personne; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie. »

(De l'Esprit des lois, livre II : « Des lois qui dérivent directement de la nature du gouvernement », chapitre 2 : « Du gouvernement républicain et des lois relatives à la démocratie »).

 

« L'amour de la république, dans une démocratie, est celui de la démocratie; l'amour de la démocratie est celui de l'égalité. »

(De l'Esprit des lois, livre V : « Que les lois que le législateur donne doivent être relatives au principe de gouvernement », chapitre III : « Ce que c'est que l'amour de la république dans la démocratie »).

« Dans toute magistrature, il faut compenser la grandeur de la puissance par la brièveté de sa durée. Un an est le temps que la plupart des législateurs ont fixé; un temps plus long serait dangereux, un plus court serait contre la nature de la chose. »

(De l'Esprit des lois, livre II : « Des lois qui dérivent directement de la nature du gouvernement », chapitre III: « Des lois relatives à la nature de l’aristocratie »)

 

 

 

Jean-Jacques Rousseau

 

« Il y a donc trois sortes d'aristocratie : naturelle, élective, héréditaire. La première ne convient qu'à des peuples simples; la troisième est le pire de tous les gouvernements. La deuxième est le meilleur : c'est l'aristocratie proprement dite. »

(Du contrat social, Livre III, chapitre 5 : « De l'aristocratie »).

 

« La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n'y a point de milieu. [...] Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle ; ce n'est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement : sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde. [...] L'idée des représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l'espèce humaine est dégradée, et où le nom d'homme est en déshonneur. »

(Du contrat social, livre III, chapitre 15 : « Des députés ou représentants »).

 

 

 

Samuel Williams

« La représentation […] a été graduellement introduite en Europe par les monarques ; non pas avec l’intention de favoriser les droits des peuples, mais comme le meilleur moyen de lever de l’argent »,

The Natural and Civil History of Vermont, Walpole (NH), 1794, dans Charles S. Hyneman & Donald S. Lutz (eds), American Political Writing During the Founding Era 1760-1805, tome II, Liberty Press Edition, 1983, p. 964).

 

 

 

Maximilien Marie-Isidore Derobespierre, le 29 juillet 1792

« La source de tous nos maux, c’est l’indépendance absolue où les représentants se sont mis eux-mêmes à l’écart de la nation sans l’avoir consultée.

Ils ont reconnu la souveraineté de la nation, et ils l’ont anéantie.

Ils n’étaient de leur aveu même que les mandataires du peuple, et ils se sont faits souverains, c’est-à-dire despotes, car le despotisme n’est autre chose que l’usurpation du pouvoir souverain.

Quels que soient les noms des fonctionnaires publics et les formes extérieures du gouvernement, dans tout État où le souverain ne conserve aucun moyen de réprimer l’abus que ses délégués font de sa puissance et d’arrêter leurs attentats contre la constitution de l’État, la nation est esclave, puisqu’elle est abandonnée absolument à la merci de ceux qui exercent l’autorité.

Et comme il est dans la nature des choses que les hommes préfèrent leur intérêt personnel à l’intérêt public lorsqu’ils peuvent le faire impunément, il s’ensuit que le peuple est opprimé toutes les fois que ses mandataires sont absolument indépendants de lui.

Si la nation n’a point encore recueilli les fruits de la révolution, si des intrigants ont remplacé d’autres intrigants, si une tyrannie légale semble avoir succédé à l’ancien despotisme, n’en cherchez point ailleurs la cause que dans le privilège que se sont arrogés les mandataires du peuple de se jouer impunément des droits de ceux qu’ils ont caressés bassement pendant les élections. »

 

 

 

Gracchus Babeuf

« l’un la désire bourgeoise et aristocratique, l’autre entend l’avoir faite et qu’elle demeure toute populaire et démocratique  »

(cité par Jens A. Christophersen, The Meaning of « Democracy » : As Used in European Ideologies from the French to the Russian Revolution, Universitetsforlagets Trykningssentral, 1968, p. 16 ; cité par Francis Dupuis-Deri dans son excellent article L’esprit antidémocratique des fondateurs de la «démocratie» moderne, Agone, N° 22, septembre 1999, pp. 95-113).

 

Dans Le Tribun du peuple (29 novembre 1795), rejetant une proposition qui invitait les républicains à se liguer contre la monarchie, Babeuf en profitait pour se distinguer en démocrate de ses pseudo-alliés républicains :

« Vous ne paraissez réunir autour de vous que des républicains, titre banal et fort équivoque : donc vous ne prêchez que la république quelconque. Nous, nous rassemblons tous les démocrates et les plébéiens, dénominations qui, sans doute, présentent un sens plus positif : nos dogmes sont la démocratie pure, l’égalité sans tâche et sans réserve ». (Ibidem).

 

 

 

James Madison, principal artisan de la Constitution états-unienne, était aristocrate et antidémocrate, car il croyait que les représentants seraient plus sages, plus capables de sacrifier leur intérêt pour le peuple que le peuple lui-même (Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995, p. 12-13). En ploutocrate, il agit

« pour protéger la minorité des nantis face de la majorité » (Jonathan Elliott Ed., The Debate in the Several State Conventions on the Adoption of Federal Constitution, 1787, Yates Minutes, 1836, vol. 1, p. 450).

 

« Si chaque citoyen d’Athènes avait été un Socrate, chaque assemblée athénienne aurait été malgré tout une cohue » James Madison, Alexander Hamilton & John Jay, The Federalist Papers, Penguin books, 1987, p. 336

 

 

 

Alexander Hamilton, fondateur du Parti Fédéraliste aux Etats-Unis, sur la révolution

« Il n’y a pas eu de changements dans les lois, il n’y a pas eu d’interférence avec les intérêts de quiconque, tout le monde est resté à sa place et, la seule altération, c’est que le siège du gouvernement a changé » (selon De Charles Albert Moré de Pontgibaud, A French Volunteer in the War of Independence, Paris, 1897, p. 147, cité par Samuel Eliot Morison, The Conservative American Revolution, Anderson House-The Society of the Cincinnati, 1976, p. 17).

 

 

 

John Adams (premier vice-président puis deuxième président des États-Unis affirma son antidémocratisme aussi :  « L’idée que le peuple est le meilleur gardien de sa liberté n’est pas vraie. Il est le pire envisageable, il n’est pas un gardien du tout. Il ne peut ni agir, ni juger, ni penser, ni vouloir » (James A. Morone, The Democratic Wish : Popular Participation and the Limits of American Government, BasicBooks, 1990, p. 33).

 

 

 

Abbé Emmanuel-Joseph Sieyès, dans son discours du 7 septembre 1789 opposa gouvernement "représentatif" et démocratie, avant que l'oligarchie ait voulu qu'on les confonde afin de tromper le peuple et désamorcer ses revendications :

« La France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. [...] Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »

(« Sur l’organisation du pouvoir législatif et la sanction royale », in Les Orateurs de la Révolution française. Les Constituants, Tome I, Paris, Gallimard, 1989, p. 1025 et 1027)

 

 

 

Alphonse de Lamartine

« Il y a pire que l'esclavage : c'est d'avoir des esclaves et de les appeler "citoyens". »

 

 

Voline, Ce qu'il faut dire n° 2, juillet 1934

« Or, toute idée fausse acceptée comme juste est un grand danger pour la cause qu’elle touche. L’idée en question est celle-ci : Pour gagner dans la lutte et conquérir leur émancipation, les masses travailleuses doivent être guidées, conduites par une « élite », par une « minorité éclairée », par des hommes « conscients » et supérieurs au niveau de cette masse.

Qu’une pareille théorie, — qui, pour moi, n’est qu’une expression adoucie de l’idée de dictature car, en fait, elle enlève aux masses toute liberté d’action et d’initiative — , qu’une pareille théorie soit préconisée par des exploiteurs, rien d’étonnant. Pour être exploitées, les masses doivent être menées et soumises comme un troupeau. Mais qu’une telle idée soit ancrée dans l’esprit de ceux qui se prétendent émancipateurs et révolutionnaires, c’est un des phénomènes les plus étranges de l’histoire. Car — ceci me paraît évident, — pour ne plus être exploitées, les masses ne doivent plus être menées. Tout au contraire : les masses travailleuses arriveront à se débarrasser de toute exploitation seulement lorsqu’elles auront trouver le moyen de se débarrasser de toute tutelle, d’agir par elles-mêmes, de leur propre initiative, pour leurs propres intérêts, à l’aide et au sein de leurs propres et véritables organismes de classe : syndicats, coopératives, etc., fédérés entre eux.

L’idée de la dictature — brutale ou adoucie — étant universellement répandue et adoptée, la route est toute prête pour la psychologie, l’idéologie et l’action fascistes. Cette psychologie pénètre, empoisonne et décompose tout le mouvement ouvrier et l’engage dans une voie périlleuse. » [Lu le 10/11/2020]


 

 

 

 

 

Cornelius Castoriadis

La représentation est un principe étranger à la démocratie. Et cela ne souffre guère la discussion. Dès qu'il y a des représentants permanents, l'autorité, l'activité et l'initiative politiques sont enlevées au corps des citoyens pour être remises au corps restreint des représentants — qui en usent de manière à consolider leur position et à créer des conditions susceptibles d'infléchir de bien des façons l'issue des prochaines élections.

« La polis grecque et la création de la démocratie », in Domaines de l'homme (1986), Les carrefours du labyrinthe II, Paris, Seuil, coll. Points essais,  p. 361.

 

La démocratie directe « dans son esprit était un pléonasme, qu'il faut bien opposer à l'oxymore qui sert à déguiser l'oligarchie libérale en démocratie représentative» (Jean-Louis Prat, Introduction à Castoriadis  (2007), Paris, La Découverte/Repères, 2012,, p. 5).

 

 

Sur la question de la représentation politique, Jean-Jacques Rousseau disait que les Anglais, au XVIIIe siècle, croient qu'ils sont libres parce qu'ils élisent leurs représentants tous les cinq ans. Effectivement, ils sont libres, mais un jour sur cinq ans. En disant cela, Rousseau sous-estimait indûment son cas. Parce qu'il est évident que même ce jour sur cinq ans on n'est pas libre. Pourquoi ? Parce qu'on a à voter pour des candidats présentés par des partis. On ne peut pas voter pour n'importe qui. Et on a à voter à partir de toute une situation réelle fabriquée par le Parlement précédent et qui pose les problèmes dans les termes dans lesquels ces problèmes peuvent être discutés et qui, par là même, impose des solutions, du moins des alternatives de solution, qui ne correspondent presque jamais aux vrais problèmes.

Généralement, la représentation signifie l'aliénation de la souveraineté des représentés vers les représentants. Le Parlement n'est pas contrôlé. Il est contrôlé au bout de cinq ans avec une élection, mais la grande majorité du personnel politique est pratiquement inamovible. En France un peu moins. Ailleurs beaucoup plus. Aux États-Unis, par exemple, les sénateurs sont en fait des sénateurs à vie. Et cela viendra aussi en France. Pour être élu aux États-Unis il faut à peu près 4 millions de dollars. Qui vous donne ces 4 millions ? Ce ne sont pas les chômeurs. Ce sont les entreprises. Et pourquoi les donnent-elles ? Pour qu'ensuite le sénateur soit d'accord avec le lobby qu'elles forment à Washington, pour voter les lois qui les avantagent et ne pas voter les lois qui les désavantagent. Il y a là la voie fatale des sociétés modernes.

[De l'autonomie en politique, l'individu privatisé, entretien de mars 1997, Le Monde diplomatique, février 1998]

 

Si [les citoyens] ne sont pas capables de gouverner - ce qui reste à prouver -, c’est que « toute la vie politique vise précisément à le leur désapprendre, à les convaincre qu’il y a des experts à qui il faut confier les affaires. Il y a donc une contre-éducation politique. Alors que les gens devraient s’habituer à exercer toutes sortes de responsabilités et à prendre des initiatives, ils s’habituent à suivre ou à voter pour des options que d’autres leur présentent. Et comme les gens sont loin d’être idiots, le résultat, c’est qu’ils y croient de moins en moins et qu’ils deviennent cyniques (...) Les institutions actuelles repoussent, éloignent, dissuadent les gens de participer aux affaires ».

[Stopper la montée de l’insignifiance, Le Monde Diplomatique, août 1998, pp.22-23]

 

 

Etienne Balibar

 

Le peuple hégémonique, au sens gramscien, c'est un bloc historique de forces hétérogènes. Pour qu'elles convergent, il faut qu'elles entrent dans un processus de débat, d'interactions sociales, qui leur fasse prendre conscience de leur force. On ne peut y parvenir que par un processus de démocratisation radicale des institutions actuelles, à condition de comprendre que la démocratie est indispensable à tous les niveaux, du local au transnational.

Lu le lundi 26 novembre 2018 sur https://blogs.mediapart.fr/jean-claude-leroy/blog/230118/michea-l-inactuel-sur-la-disqualification-d-un-philosophe-politique

Tribune parue dans le Monde, le 11 janvier 2017.

 

 

 

Jean-Claude Michéa

 

« Dans le « Figaro magazine » du 6 janvier 2007, Alain-Gérard Slama écrit que « les deux valeurs cardinales sur lesquelles repose la démocratie sont la liberté et la croissance ». C’est une définition parfaite du libéralisme. À ceci près, bien sûr, que l’auteur prend soin d’appeler « démocratie » ce qui n’est, en réalité, que le système libéral, afin de se plier aux exigences définies par les « ateliers sémantiques » modernes (on sait qu’aux États-Unis, on désigne ainsi les officines chargés d’imposer au grand public, à travers le contrôle des médias, l’usage des mots le plus conforme aux besoins des classes dirigeantes). Ce tour de passe-passe, devenu habituel, autorise naturellement toute une série de décalages très utiles. Si, en effet, le mot « démocratie » doit être, à présent, affecté à la seule définition du libéralisme, il faut nécessairement un terme nouveau pour désigner ce « gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple » où chacun voyait encore, il y a peu, l’essence même de la démocratie. Ce nouveau terme, choisi par les ateliers sémantiques, sera évidemment celui de « populisme ». Il suffit, dès lors, d’assimiler le populisme (au mépris de toute connaissance historique élémentaire) à une variante perverse du fascisme classique, pour que tous les effets désirables s’enchaînent avec une facilité déconcertante. Si l’idée vous vient, par exemple, que le Peuple devrait être consulté sur tel ou tel problème qui engage son destin, ou bien si vous estimez que les revenus des grands prédateurs du monde des affaires sont réellement indécents, quelque chose en vous doit vous avertir immédiatement que vous êtes en train de basculer dans le « populisme » le plus trouble, et par conséquent, que la « Bête immonde » approche de vous à grands pas. En « citoyen » bien élevé (par l’industrie médiatique), vous savez alors aussitôt ce qu’il vous reste à penser et à faire. ».

[L'Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale), Climats, 2007, p. 85-86 / Flammarion, Champs Essais 2010, p. 84-85]

 

 

 

Michel Houellebecq

 

Dans L'enlèvement de Michel Houellebecq de Guillaume Nicloux, 2014

https://www.youtube.com/watch?v=xKQFVW0uXHM

 

Europe 1: https://www.youtube.com/watch?v=FXBAO1nAX-w

 

 

On pourrait multiplier à l’infini les exemples de la fracture, aujourd’hui abyssale, qui s’est créée entre les citoyens et ceux qui devraient les représenter. Le discrédit qui frappe aujourd’hui en France l’ensemble de la classe politique est non seulement répandu, mais aussi légitime. Et il me semble que la seule solution qu’il nous reste serait celle de se diriger lentement vers l’unique forme de démocratie réelle, j’entends par là la démocratie directe.

Tribune de Michel Houellebecq, dans le journal italien Il Corriere della Sera 19/11/2015

https://www.les-crises.fr/l-ne-nous-reste-dune-seule-solution-la-democratie-directe-par-michel-houellebecq/