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Le photographe

Cont@ct

 

 

Reflets de quelques errances

 

 

Voyager, ne pas s'arrêter, ne pas repasser par le même chemin, du moins le vouloir. Ne pas se baigner dans le même fleuve, car les habitudes se prennent tellement vite. Rester au plus étranger. Avoir le moins de choses à reconnaître.

Fuir, s'échapper lorsque survient l'ennui. Il vient très vite, tellement vite. Là où on n'habite pas. Là où j'habite, ce serait pareil d'y voyager si je venais d'ailleurs. Cette grande ville m'ennuie. Mais j'en parle la langue, j'en ai la nationalité, j'y connais des gens, j'y ai la monnaie. Sinon, j'errerais continuellement. Confort. Lâcheté. Ne pas mourir. Mentir.

Dans la photographie, à première vue, je suis protégé. C'est ce que j'ai photographié, ce n'est pas moi, c'est ce qui était devant moi. On peut en parler. C'était ceci, ici ou là, tel jour, telle nuit.

Comme il y a le désir de comprendre notre monde, d'explorer notre littérature (nous, humains sur Terre), il y a le désir d'aller sur toute cette Terre.

Enfant, j'étais fasciné par le spectacle des bouteilles en plastique transparent, les rayons de lumière solaire qui s'y reflétaient. Feu éclatant en étincelles dans l'eau. Cette matière solide que mon regard traversait m'intriguait. Pourquoi plus que la matière solide opaque, ou la matière liquide transparente, l'eau quoi. Car la matière transparente solide était plus rare, peut-être, aussi parce qu'elle se laisse transpercer par le regard, mais pas par la main ou quelque organe, elle est dans un entre-deux, une ambiguïté matérielle. Mais surtout, profondément, parce que c'est (le symbole de) la fenêtre ouverte au monde. Tout opaque ou tout transparent, tout serait paralysé, si tout était visible, soit invisible. Alors j'explore ces marges du monde, dans leurs extrêmes limites.

Ce désir d'exhaustivité, d'épuisement de la réalité (comprise ou construite) et de ses mystères, me meut, me met en danger de vie et de mort. *

Mais quand même, repartir encore, le plus tôt possible, et se perdre à nouveau sur des chemins.

Dans le hasard vertigineux de la rencontre photographique, faire des photos à la merci de la ronde incessante du Soleil. Cette contingence effrayante. Comment elle se transforme en destin.

Arpenter toujours la Terre. Arpenteur, une tâche résolument moderne sur une planète verrouillée comme un château.

Affronter la vulnérabilité d'une quête de déraciné, être un homme plus troué encore, sans plénitude.

Cet ailleurs dont je mourrai peut-être mais dont je vis plus sûrement encore.

 

 

 

* Repas de voyage. Manger. Boire. Du lait, des fruits, des sardines en conserve dans un bol, le pain trempé dans leur huile. Un repas complet.

Chaque matin, quand dans le véhicule l'eau dans la bouteille s'est congelée, vite redémarrer, et rouler, afin de se réchauffer, et voir peu à peu le soleil se lever, en se rasant, en mangeant, en buvant l'eau et le lait décongelés, sans s'arrêter. Toujours en urgence.

Être abandonné d'abord sur un autre continent. Être volé, coincé sans passeport dans la capitale d'un état policier, racketté par les policiers, s'ennuyer, devoir partir de chez ses hôtes pour leur éviter les tracas des enquêtes et des espions. Errer encore autour de la ville. Après avoir pris des réserves de bidons d'essence, traverser un pays en guerre sous embargo, l'oppresseur, c'est plus facile, avec pour compagnon un singe en casquette (pour cacher sa calvitie), disc-jockey pour flots de touristes, au bord des mers l'été, au bord des pistes enneigées l'hiver, et qui en paniquant, se demandait dans quelle sauvagerie il était tombé. Sur le bord des routes, des hommes vendant du carburant au triple prix dans de petits bidons. Être encore racketté la nuit par des militaires au péage de l'autoroute. Se terrer la nuit. Remplir le réservoir d'essence en cachette. Se faire vérifier par des militaires qu'on n'a pas sur les bras de traces de piqûres d'ingestions de drogue.

À un retour, encore abandonné, après une nuit sur la route, une panne d'essence dans la montagne, la tempête de neige, des contre-braquages à grande vitesse. Après l'achat, à la première boulangerie ouverte, de croissants pour un petit-déjeuner de retrouvailles, glisser finalement sur la route et basculer dans le fossé, et sortir du véhicule comme d'une capsule spatiale.

Ou, en allant en train dans une cité lagunaire sans billet, être viré par des contrôleurs, réintégrer de justesse un autre train qui va dans une autre ville du même pays, et par chance, au bout de la nuit, dans une gare réintégrer le premier train avant que leurs chemins ne divergent, pour rejoindre mon amie ensommeillée qui ignorait mon absence du train.

 

 

8985, 8987, 8988, 8989, 8990, 9008, 9019 et 9024e journées.