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(Une) analyse des élections présidentielles françaises de 2002

 

«Essayez d'être dans la réalité, pas dans les mythes.».

(Lionel Jospin, 24 avril 2002)

 

 

Lionel Jospin a fait l'erreur de ne pas démissionner un an avant les élections afin de prendre du recul et de les préparer. Premier ministre est un poste de bouc émissaire, de fusible pour le président. Lors des deux précédentes élections, les deux premiers ministres qui se sont présentés (Jacques Chirac en 1988 et Édouard Balladur en 1995) ont perdu. C'est une erreur qu'a voulu ne pas renouveler Jacques Chirac en refusant de devenir premier ministre en 1993; et c'est ainsi qu'il a gagné les élections présidentielles de 1995.

Lionel Jospin a fait l'erreur, voire la faute politique de renverser l'ordre des élections législatives et présidentielles pour des raisons électoralistes, pensant qu'il avait plus de chances de gagner les présidentielles contre Chirac que les élections législatives contre l'opposition, chaque opposition ayant remporté les élections législatives depuis un quart de siècle. Mais la France souffre d'un régime trop monarchiste, le pouvoir exécutif contrôlant le pouvoir législatif. Or le pouvoir exécutif ne devrait détenir que les moyens d'exécuter les lois décidées par un pouvoir législatif le plus collectif possible.

Le scrutin majoritaire à deux tours ne représente pas les souhaits des électeurs, et cela d'autant plus qu'il y a de candidats. Or l'élection présidentielle de 2002 était un record, avec seize candidats. Si l'on avait demandé de voter non pas pour, mais contre les candidats, Jean-Marie Le Pen ne serait pas arrivé second, mais probablement dernier (ce qu'indique les 82 % de votes contre lui au second tour; Jacques Chirac aurait fait au second tour un score moindre face à n'importe lequel des quatorze autres candidats).

Avec le mode de scrutin actuel, seuls les électeurs qui ont voté pour les deux premiers candidats ont eu un vote qui compte, soit en 2002 moins de 40 % des votes validés. Et finalement, le président a été choisi par les 19 % de votes validés pour Jacques Chirac, des personnes plutôt conservatrices (satisfaites de l'ordre social actuel), âgées, que ça ne dérangeait pas de réélire et d'amnistier un candidat accusé de détournements de fonds publics importants pour sa carrière et se faire élire.

Un mode de scrutin représentatif des opinions de chaque électeur sur chaque candidat serait un scrutin où l'on noterait chaque candidat (par exemple de 0 à 10), et où serait élu le candidat qui aurait cumulé le plus de points.

Mais finalement ce sont Chirac (de droite) et Le Pen (d'extrême-droite) qui devenaient les deux présidents éligibles au second tour. La réaction de presque toute la gauche a été de se rallier à Jacques Chirac, soutenant une élection qui l'amnistiait de tous les soupçons judiciaires sur lui. Or l'élection de Le Pen aurait permis une cohabitation du parti socialiste. Mais vingt années de "diabolisation" hypocrite rendaient cette idée à peine pensable. Hypocrite car soit Le Pen et son parti le Front national sont considérés anti-démocratiques, anticonstitutionnels, et ils sont déclarés inéligibles, soit on les accepte normalement. Or rien n'a abouti à l'invalidation du Front national. Sur le plan du racisme, du machisme, Jacques Chirac était-il plus respectable? Lui qui fustigeait les immigrés pour les «bruits et odeurs dans la cage d'escalier», lui qui disait: «Pour moi, la femme idéale, c'est la femme corrézienne, celle de l'ancien temps, dure à la peine, qui sert les hommes à table, ne s'assied jamais avec eux et ne parle pas.» (1978). Et premier ministre du président Valéry Giscard d'Estaing, il était très réticent à une loi autorisant l'avortement.

Je comprends les rares et courageuses personnes de gauche qui ne se sont pas ralliées à l'élection de Chirac: Arlette Laguiller (qui avait appelé à voter pour Mitterrand contre la droite à l'élection présidentielle de 1981 mais s'y est refusée à celle de 1988), ou Lionel Jospin qui disait dans Le monde du mercredi 24 avril 2002, p.7 (article intitulé «Jospin refuse de donner une consigne sur le «choix difficile du second tour»»): «Le choix est difficile. Je ne veux pas peser dans un sens ou dans l'autre. Réfléchissez-y bien. Essayez d'être dans la réalité, pas dans les mythes.». Ce mythe, c'est l'idée d'un Chirac plus respectable qu'un Le Pen, Chirac qui négociait des contrats nucléaires avec l'Iran et l'Irak, pays riches en pétrole qui n'en avaient pas besoin hormis pour faire des bombes; Chirac qui a retardé de deux ans le retour des otages français au Liban, faisant monter les enchères auprès des Iraniens afin de contrer la gauche française; Chirac ordonnant une attaque sanglante en Nouvelle-Calédonie entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1988 afin d'augmenter sa côte de popularité, contre l'avis de gendarmes qui disaient qu'on allait au massacre: des indépendantistes furent tués après leur reddition (heureusement, Michel Rocard réglera plus heureusement ce conflit); les sommes colossales pillées à la collectivité.

Et il fallait être courageux pour ne pas hurler avec la foule. Durant deux semaines, on a assisté à une quasi-unanimité médiatique et d'opinion impressionnantes. Pour une fois, on sentait l'importance du secret du vote.

Il y a ceux qui ont décidé de ne voter ni pour Chirac ni pour Le Pen. Cela me paraît être une attitude lâche et hypocrite: "ils s'en lavent les mains", mais étant données les institutions, l'un ou l'autre sera élu, et il n'y a aucune influence officielle d'un taux de votes valides bas. L'un ou l'autre sera élu, et ceux qui ne votent pas, pratiquement, devraient considérer que c'est égal que l'un ou l'autre soit élu.

Quant à moi, je voulais que Chirac soit jugé par des tribunaux, et j'aurais voté pour n'importe lequel des quinze candidats contre Chirac (par contre, j'aurais voté pour Chirac contre Charles Pasqua, car ce que je sais de ses agissements criminels est pire). La gauche avait de grandes chances de gagner les élections législatives avec Le Pen président, et aucune avec Chirac président. Mais c'est comme si ces socialistes bon teint défendaient une nomenklatura, comme Roland Dumas compromis défendait un Chirac compromis. Au moins, connaissant les sondages, je voulais que le score de Chirac soit le plus faible, augmenter le score de la protestation. Quatre cinquièmes des voix pour Chirac, c'était consolider une politique de droite plus prononcée qu'il a mis à exécution depuis.

Mais Le Pen président, c'était pratiquement impossible, car les mythes sont et font notre réalité (ainsi beaucoup de personnes de droite croyaient que l'élection présidentielle de François Mitterrand en 1981 annonçait une dictature "communiste" et placèrent leur monnaie à l'étranger).

 

12243e et 12252e journées (6 et 15 mars 2004)

 

 

Post-scriptum.(14093e journée, lundi 30 mars 2009)

Si j'étais opposé à l'élection de Chirac pour des raisons juridiques (ce qui n'aurait pas été le cas s'il avait pu être inculpé et poursuivi même président), je dois reconnaître des résultats très positifs:

- La lutte contre la mortalité routière avec le ministre des Transports Gilles de Robien ("3.000 morts de moins par an sur les routes": http://fr.wikipedia.org/wiki/Gilles_de_Robien) , alors que le précédent ministre des transports,  Jean-Claude Gayssot, dans le gouvernement de Lionel Jospin, avait eu une politique meurtrière (affectant même des budgets de sécurité routière pour Air France, alors dirigé par un proche).

- L'opposition (courageuse) à la guerre en Irak, avec le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin, alors qu'avec Nicolas Sarkozy au sommet de l'Etat, avec son atlantisme et son américanisme, la France aurait envoyé de ses soldats tuer et se faire tuer par des Irakiens.