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Le philosophe

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De l'épistémologie et de l'imitation en science

 

Exergue

«Les éveillés ont un seul monde, qui leur est commun. Dans le sommeil, chacun se détourne vers son propre monde.» (Héraclite d'Éphèse)

 

Bibliographie

Pierre Bourdieu, 1980: «La sociologie est-elle une science?», dans La Recherche, juin 1980, republié dans La Recherche, nº 331, mai 2000, pp. 69-71.

Paul Feyerabend, 1976, 1989, 1990: Dialogues sur la connaissance (Le Seuil, 1996).

Thomas S. Kuhn, 1962, 1970: La Structure des révolutions scientifiques (Flammarion, Champs 1983). [SRS]

Thomas S. Kuhn, 1966: «Les notions de causalité dans le développement de la physique»; dans Les Théories de la causalité (PUF 1971). [NCDP]

Thomas S. Kuhn, 1977: La Tension essentielle (Gallimard 1990). [TE]

Imre Lakatos: Falsification and methodology of research programme (Cambridge 1970).

Roland Omnès, 1994: Philosophie de la science contemporaine (Folio essais).

Karl R. Popper, 1972: La Connaissance objective (éditions Complexe, 1978). [CO]

Revue française de sociologie, janvier-mars 2000, 41-1 (Ophrys). [RFS]

Isabelle Stengers, 1993: L'Invention des sciences modernes (La Découverte). [ISM]

Vincent Descombes, 1989: Philosophie par gros temps (Minuit).

 

Consensus

«certains exemples reconnus de travail scientifique [...] fournissent des modèles qui donnent naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche scientifique» (SRS p. 30)

«Les hommes dont les recherches sont fondées sur le même paradigme adhèrent aux mêmes règles et aux mêmes normes dans la pratique scientifique.» (SRS p. 30)

Le «mode de pensée convergent» (TE p. 305), c'est l'imitation qui mène au «premier consensus» (TE p. 312), début d'une science qui progresse.

 

Paradigme et communauté scientifique

«Un paradigme est ce que les membres d'une communauté scientifique possèdent en commun, et, réciproquement, une communauté scientifique se compose d'hommes qui se réfèrent au même paradigme.» (SRS p. 240)

Dans une communauté scientifique, «Tous ont eu une formation et une initiation professionnelle semblables, à un degré inégalé dans la plupart des autres disciplines. Ce faisant, ils ont assimilé la même littérature et en ont retiré le même enseignement.» (SRS p. 241), ce qui explique «les avis relativement unanimes sur le plan professionnel» (SRS p. 241).

«un paradigme est un modèle ou un schéma accepté» (TE p. 45): l'imitation est encore sous-jacente à cette définition; pareil p. 47 avec «l'adhésion au paradigme».

«le choix du paradigme ne peut être imposé par aucune autorité supérieure à l'assentiment du groupe concerné.» (SRS p. 136)

«les paradigmes guident la recherche par modelage direct tout autant que par l'intervention de règles abstraites» (SRS p. 77); pour Kuhn, les règles ne sont que des modèles intermédiaires, de substitution, des réifications figées de modèles qui interviennent lors de phases où «l'unanimité» (SRS p. 77) vacille, où des contre-modèles émergent.

 

Des commentateurs ont explicitement formulé ce que Kuhn n'écrit pas: qu'un paradigme est un modèle imité par les scientifiques dans leur pratique. C'est ce qu'a par exemple écrit un physicien (et non un philosophe professionnel) comme Roland Omnès dans «Philosophie de la science contemporaine». Ainsi, dans son glossaire, «Un paradigme est un cas de réussite scientifique remarquable et prenant valeur exemplaire, que les chercheurs imiteraient.» (p. 403). Ailleurs, «une science est à chaque époque un éventaire de paradigmes et d'imitations, tous marqués par une inspiration commune.» (p. 350), les paradigmes sont «autant de modèles offerts à l'imitation» (p. 362) ou des «exemples suffisamment frappants pour qu'on s'efforce de s'en inspirer, de les imiter et d'en exprimer la substance» (p. 94). Il croit néanmoins qu'il y a une alternative, une «différence entre l'imitation d'un paradigme et l'application d'un principe» (p. 94), alors que «règles», «principe», «normes» et tout autre synonyme ne représentent que des modèles réifiés, extériorisés, transcendés, stabilisés qui leur confère un statut objectif, «dépsychologisé» qui exorcise l'accusation de «psychologie des foules» faite par Imre Lakatos p.  178 de «Falsification and methodology of research programme».

Vincent Descombes en résume les enjeux dans Philosophie par gros temps (Minuit, 1989, p. 20) : «Parler de paradigme permet à la fois de dire qu'il y a une contrainte sociale à penser conformément à un exemple majeur d'explication, celui qui passe à l'époque pour particulièrement lumineux, et en même temps que sont momentanément marginalisés ceux qui ne pensent pas de cette façon, ou qui s'occupent trop de ce que le mode d'explication préféré n'explique pas. Autrement dit, il y a à toute époque des thèses qui sont bien reçues et d'autres qui sont mal reçues, non parce que les unes seraient mieux argumentées que les autres, mais parce que les premières seulement vont dans le sens de ce qu' on attend, sens fixé dans les  modèles d’intelligibilité alors retenus.»

 

La science normale

Kuhn assimile la pratique scientifique courante, habituelle, ce qu'il appelle la «science normale», à la résolution d'énigmes

(SRS 62-64) Une énigme est un problème de savoir dont on croit qu'il ne peut avoir qu'une (ou très peu de) solution(s).

Par exemple, les mots croisés, les devinettes ou les puzzles n'ont qu'une solution.

La science normale est la recherche de la solution d'énigmes c'est-à-dire la résolution des problèmes dont la solution est déjà assimilable par le paradigme, sans nécessiter quelque accommodation importante de celui-ci.

 

Les anomalies et les révolutions scientifiques

Ce qui fait évoluer la science, c'est ce qui est inassimilable par le paradigme, c'est-à-dire «des anomalies qui minent la tradition établie dans la pratique scientifique» (SRS p. 23)

Kuhn décrit l'évolution de la science par accommodation des paradigmes afin d'assimiler les anomalies, de la même façon que Piaget décrivait l'évolution d'un enfant de stade en stade:

«la découverte commence avec la conscience d'une anomalie, c'est-à-dire l'impression que la nature, d'une manière ou d'une autre, contredit les résultats attendus dans le cadre du paradigme qui gouverne la science normale. il y a ensuite une exploration, plus ou moins prolongée, du domaine de l'anomalie. Et l'épisode n'est clos que lorsque le phénomène anormal devienne le phénomène attendu.» (SRS p. 83).

Tant qu'il n'est pas un tant soit peu assimilé d'une façon ou d'une autre par quelque paradigme scientifique, un fait n'est même pas scientifique:

«L'assimilation d'un nouveau type de faits est donc beaucoup plus qu'un complément qui s'ajouterait simplement à la théorie, et jusqu'à ce que le réajustement qu'elle exige soit achevé [...], le fait nouveau n'est pas tout à fait un fait scientifique.» (SRS p. 83)

 

 

Isabelle Stengers note que si les scientifiques «reconnaissaient [...] une description enfin pertinente de leur activité» (ISM p. 13), «Les philosophes des sciences manifestèrent un mécontentement considérable» (ISM p. 12): en effet, «Ils dénoncèrent le drame que serait, pour la civilisation, la réduction de la science à une mob psychology, une psychologie de foules irrationnelles, soumises aux effets de mode et d'imitation.» (ISM p. 13).

Dans un mouvement typique, ses rivaux ne voient et pensent que ce qui les oppose, pas leurs similitudes, ce qu'a finement remarqué Isabelle Stengers: «Karl Popper n'a jamais admis sa proximité avec Thomas Kuhn, quoique tous deux célèbrent la pratique scientifique comme produit d'une nouveauté échappant aux intentions et aux calculs humains, et les transformant irréversiblement.» (ISM p. 69). En effet, «Popper voulait,  selon la tradition épistémologique, faire coïncider pratique scientifique et idéal de lucidité critique.» (ISM p. 69).

 

Sens commun, réalisme et idéalisme

Popper affirme que «Le sens commun se range sans doute possible du côté du réalisme; on trouve bien sûr, même avant Descartes - en fait depuis Héraclite -, des pointes de doute sur la question de savoir si notre monde ordinaire n'est peut-être simplement que notre rêve.»: il ne me semble pas aussi sûr que ce qu'a écrit Héraclite dans la citation mise en exergue ici soit sans doute possible interprétable dans le sens de l'irréalité du monde ordinaire qui ne serait que rêvé: Héraclite pointait le fait que le monde de l'éveil était unique, unifié par la communauté des sociétaires; loin d'être un rêve, le monde ordinaire selon Héraclite est celui créé par l'accord imitatif des humains.

Selon Popper, l'idéalisme qui «dit: le monde [...] est seulement mon rêve», «n'est pas réfutable» (CO p. 49): je suis en désaccord, car les électroencéphalogrammes permettent de prouver si soi ou une autre personne rêve ou est éveillée; ou alors Popper comprend différemment «réfutation» et «preuve», en particulier concernant la réalité du monde.

Si l'idéaliste dit que «rêve» était utilisé métaphoriquement, ou qu'il s'agit d'un autre type de rêve, il fuit et glisse de sophisme en sophisme pour éviter toute confrontation franche.

Karl Popper aurait pu penser à cette réfutation de l'idéalisme, car il cite deux pages lus loin (p. 53) une réfutation assez proche, c'est-à-dire grâce à des machines, faite par Winston Churchill (quoique Popper ait écrit cela il y a trente ans, et l'électroencéphalogramme était moins connu).

 

 

Karl Popper, en insistant que sur les découvertes scientifiques révolutionnaires plutôt que sur la science ordinaire, insiste sur l'acte original, originel, isolé, et repousse tout comportement imitatif; il fait de même en postulant un troisième monde, celui des débats argumentés, et en l'isolant du monde psychique: il y a là un rationalisme irréaliste pour un philosophe prétendument réaliste.

Déjà, Karl Popper fait preuve de peu de réalisme et de beaucoup d'idéalisme en séparant un premier monde physique d'un second monde psychique; sa tripartition est un étirement évanescent vers le monde purifié des idées, séparé de la boue d'un monde 1 par deux sas étanches sans aucune validité: que craint Popper dans ses discussions objectives du monde 3? les interférences avec l'humidité gluante du cerveau (monde 1) et les tendances imitatives de nos âmes influençables (monde 2), mais il ne pourrait pas discuter sans cela.

Les théories formulées, comme les psychismes, font partie du monde, de l'ensemble de ce qui existe, et n'en sont pas séparées.

Popper prétend que dans le monde 3, «nous découvrons les nombres premiers» (CO p. 85), mais ce sont des propriétés qui se retrouvent dans ce qu'il appelle le monde 1: si j'ai un ensemble de dix œufs, je peux en faire cinq sous-ensembles égaux de deux œufs ou deux sous-ensembles égaux de cinq œufs, alors que je ne peux pas faire de sous-ensembles égaux avec onze œufs: contrairement à ce qu'affirme Popper, il n'y aucune «autonomie» de son monde 3 relativement au premier (CO p. 85).

Cette postulation des trois mondes nous sépare de découvertes répugnantes pour le rationaliste Popper, sans en permettre une seule. J'imagine que Popper fut là moins motivé par une nécessité épistémologique dans les sciences que par son rejet des politiques totalitaires, des horribles comportements de peuples obéissants à leur dictateur, à sa volonté de se réfugier dans son monde supérieur (le troisième), comme il s'est réfugié vers le paisible antipode néo-zélandais après avoir fui son Autriche natale devenue nazie. Popper dévoile lui-même qu'il est motivé par le rejet pacifiste de la violence dans ce compartimentage, quand il écrit que «c'est la science seule qui remplace l'élimination de l'erreur au cours du violent combat pour la vie par une critique rationnelle non violente, et qui nous permet de remplacer le meurtre (monde 1) et l'intimidation (monde 2) par les arguments impersonnels du monde 3.» (CO p. 96).

J'admets ces distinctions mais pas leur sacralisation (qui rejoint les sacralisations traditionnelles des cultures soucieuses de canaliser la violence sociale): une pierre n'est pas un désir, et un désir n'est pas un argument scientifique, mais tous trois font partie du même unique monde. Quand Feyerabend, qui a gardé des décennies durant une dent contre Popper, affirme que «les philosophes, en particulier ceux qui professent le rationalisme, [...] utilisent des concepts abstraits et décontaminés.» («Dialogues sur la connaissance», p. 232), il qualifiait parfaitement le but de ces trois mondes avec cette métaphore de la décontamination.

 

En guise de conclusion, le premier consensus des sciences sociales: l'imitation

Dans sa préface à La SRS, Kuhn, physicien de formation, situe l'origine de sa découverte du rôle des paradigmes, «c'est-à-dire les découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à une communauté de chercheurs des problèmes types et des solutions.» (p. 11), lorsque, «frappé par le nombre et l'ampleur des divergences avouées opposant les spécialistes des sciences sociales» (p. 10)  il s'interrogea sur le fait que «la pratique de l'astronomie, de la physique, de la chimie ou de la biologie ne fait pas naître de ces controverses sur les faits fondamentaux qui semblent aujourd'hui endémiques parmi les psychologues ou les sociologues.» (p. 11)

 

Divergence dans les sciences sociales: pas de consensus, et donc pas de «communauté scientifique» (SRS p. 238)

«Les différents manuels accessibles à l'étudiant, à la différence des sciences sociales, traitent plutôt des sujets différents, au lieu d'aborder différentes méthodes pour résoudre un même ensemble de problèmes.» (TE p. 309) : c'est peut-être pour cela que la psychologie il y a un siècle a divergé depuis l'imitation plutôt que de converger vers elle, avec une inflation des alternatives synonymiques.

Le premier consensus des sciences sociales devrait justement être celui de l'imitation: tout comportement social est un comportement imitatif, à commencer par la grégarité: aller ou rester dans le même espace que les autres sociétaires.

Ce premier consensus a eu un premier rendez-vous raté il y a un siècle, avec par exemple Gabriel Tarde, mais ce sont leurs opposants qui ont été imités, comme Émile Durkheim: celui-ci avait l'audience des étudiants de l'Université, futurs professeurs, alors que Tarde ne professait que face à l'auditoire fort peu institutionnel et beaucoup plus âgé du Collège de France, et est mort quinze ans avant Durkheim; ainsi Émile Durkheim est le sociologue français le plus cité depuis des décennies, et il «distancie largement ses compétiteurs» (Jean-René Tréanton dans RFS p. 159).

Émile Durkheim, en faisant une étude sociologique du suicide, a orienté la sociologie vers une méthode et un objet qui, par l'utilisation de statistiques sur un acte individuel, dissimule le plus l'imitation.

...mais c'est une convergence inévitable pour une véritable science sociale.

 

[Pierre Bourdieu, 1998: «La domination masculine» (Minuit)] Au tout début de son préambule à «La domination masculine» (p. 7), Pierre Bourdieu affirme que «toute la logique de sa recherche» tient à son «étonnement» devant le «respect» de «l'ordre du monde»; s'il est tant étonné, c'est que son romantisme ou son idéalisme, comme on voudra nommer cela, lui rend difficile de concevoir et d'admettre la force, la puissance, la prégnance ou l'universalité de l'imitation: il tourne autour sans aller au cœur.

Concept flou d'habitus qui dissimule derrière un rideau de fumée la netteté de l'imitation.

«On pourrait utilement comparer les difficultés soulevées ici à celles que suscite l'habitus de Bourdieu. Comme ce dernier, le paradigme relève d'une «logique du flou», une logique pratique.» (Michel Le Du: «Wittgenstein fut-il un sociologue des sciences?», dans Philosophie, nº 68, décembre 2000 (Minuit)).

 

Selon Bourdieu, la sociologie est déjà scientifique: «il y a belle lurette que la sociologie est sortie de la préhistoire» (p. 69); «La sociologie me paraît avoir toutes les propriétés qui définissent une science» (p. 69), dit-il sans préciser quelle est la définition de toutes ces propriétés

Selon lui, le déni de scientificité de la sociologie provient de ses résultats qui gênent «les technocrates, les épistémocrates» (p. 70), «parce qu'elle dévoile des choses cachées et parfois refoulées» (p 70):

«Elle révèle, par exemple, la corrélation entre la réussite scolaire, que l'on identifie à «l'intelligence», et l'origine sociale ou, mieux, le capital culturel hérité de la famille.» (p. 70). Certes, mais une corrélation statistique n'est pas une explication causale, et il semble que Bourdieu ne veut pas approfondir les moyens de l'héritage du capital culturel, et que sa métaphore financière voile toute révélation de la littéralité imitative du processus.

Si, selon Bourdieu, «L'ensemble des sociologues dignes de ce nom s'accorde sur un capital commun d'acquis, de concepts, méthodes, procédures de vérification.» (p. 70) qui leur confère un statut de scientifiques partageant un paradigme, leur dignité commune répugne à dévoiler l'imitation universelle sous-jacente des faits sociaux. Kuhn aurait raison de dire que Bourdieu ne défend que son école et les sociologues dignes de lui: s'il était physicien, Bourdieu ne dirait pas ce qu'il dit de ses «collègues»: «Je dirai seulement qu'il y a beaucoup de gens qui se disent et se croient sociologues et que j'avoue avoir quelque peine à reconnaître comme tels» (p. 70)

Si son œuvre témoigne que «la difficulté particulière qu'il y a à faire de la sociologie tient très souvent à ce que les gens ont peur de ce qu'ils vont trouver», ce n'est donc pas seulement en tant que pourfendeur de vérités cachées,  c'est aussi par sa propre peur et sa difficulté particulière à constater que lui comme nous nous imitons. Il craint que cela ne «désenchante» (p. 70) son idéalisme individualiste. On peut s'interroger si la clé de son succès ne réside pas dans une adéquation de Bourdieu avec son public dans cette résistance à la reconnaissance de l'imitation.

 

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Novateur bouc émissaire

(TE p. 461) «Dans le cas de [l'art], Ackerman laisse entendre qu'en général les controverses ne s'éteignent pas avant qu'une nouvelle école ne fasse son apparition et concentre sur elle l'ire des critiques.»: l'artiste le plus novateur fonctionne toujours comme un bouc émissaire, scandaleux et moqué.

 

 

Contradiction sur l'erreur

Thomas S. Kuhn, dans La Tension essentielle (Gallimard) considère qu'«aucune erreur n'a été faite au cours de l'établissement du système de Ptolémée.» (p. 374) et reproche à Karl Popper de parler à tort d'erreur: or croire que la Terre est immobile au centre du monde est une erreur.

(Kuhn TE p. 458) «Quand on lui demande pourquoi son travail est semblable à celui, disons, d'Einstein et de Schrödinger, plutôt qu'à celui de Galilée et Newton, le scientifique répond que Galilée et Newton, quel qu'ait pu être leur génie, avaient tort, qu'ils ont fait une erreur.»: tiens, Kuhn parle d'erreur où il le refusait pour un système scientifique p. 374.

 

Naïveté de Popper

(Kuhn TE p. 377) «Sir Karl n'est pas un falsificationniste naïf, disais-je, mais il me semble qu'on peut légitimement le traiter comme tel.»: critique et légitimité.

 

Authenticité et imitation

(Kuhn TE p. 458) «Je ne peux que prendre en compte avec estime, mais pas la faire mienne ni la comprendre, une attitude qui considère les œuvres, disons de Rembrandt, comme de l'art vivant et qui simultanément rejette comme des faux telles œuvres qui ne pourraient être distinguées de celles de Rembrandt (ou de son école) que par les seuls tests scientifiques.

Kuhn ne comprend pas que l'œuvre inauthentique est une imitation faite dans le but d'être assimilée aux authentiques et qu'il n'y a dedans aucune intention esthétique, mais uniquement parfois celle de faire une œuvre un peu différente des authentifiées ou de la rendre plus désirable à des acheteurs contemporains; au pire artistiquement, les œuvres inauthentiques falsifieraient nos connaissances sur les authentiques.

 

Apprentissage du soi et imitation

(CO p. 46) «nous devons apprendre que nous avons un moi»: Popper ira-t-il jusqu'à penser que ce moi est appris par imitation?

(CO p. 163) «Il y a trois sens du verbe «apprendre» qui n'ont pas été distingués suffisamment par les théoriciens de l'apprentissage: «découvrir»; «imiter»; «rendre habituel».»: Popper aurait dû relier ce passage avec celui de la page 46, pour s'interroger si nous apprenons que nous avons un moi en le découvrant, par imitation ou en le rendant habituel.

 

[Paul Feyerabend: «Adieu la raison» (Seuil) p. 220] Karl Popper proposait de résoudre «le problème de l'induction» par «une méthode de conjectures audacieuses», c'est-à-dire qu'il se faisait l'apologue du créateur, du novateur, de l'absence d'imitation.

 

L'influence de Piaget sur Kuhn

SRS préface p. 9

En 1966, Kuhn écrit que «Voici quelque vingt ans, j'ai découvert d'abord, et à peu près en même temps, d'une part l'intérêt intellectuel de l'histoire des sciences et d'autre part les études psychologiques de Jean Piaget. Depuis ce moment tous deux sont profondément en interaction dans mon esprit et mon travail. Une partie de ce que je sais sur la manière de poser des questions à des savants disparus, je l'ai appris en examinant des interrogatoires de Piaget avec des enfants vivants.» (NCDP p. 7)

 

Les degrés de la connaissance «doivent être distingués des stades que parcourt la connaissance dans son développement au cours du temps, soit chez chaque individu (par exemple les stades de Piaget) soit dans l'histoire des sciences (par exemple les «paradigmes» de Kuhn).» (CLCP p.40)

 

Karl R. Popper, 1989: «Rôle de l'auto-critique dans la création»; dans Diogène, n° 145, janvier-mars 1989 (Gallimard).

Dominique Tassot; Aaron Upinski Varela imitation

 

Selon Feyerabend qui utilise la métaphore sanitaire éculée de l'imitation (Adieu la raison, p. 339), «la science occidentale a maintenant infecté le monde entier comme une maladie contagieuse», en éliminant, souvent très violemment, les modèles culturels rivaux.

 

Pour faire partie de la communauté scientifique, il faut imiter comme pour faire partie de n'importe quelle communauté sociale, comme l'a fait Feyerabend dans sa jeunesse pour faire partie de la communauté de la philosophie des sciences: «Je connaissais Popper et ses collaborateurs. J'ai discuté avec eux dans leurs propres termes, juste comme on se doit de le faire entre gens civilisés.» (Dialogues, p. 212)

 

 

L'imitation en sciences est incontournable car tous les scientifiques n'auront pas le même accès aux mêmes preuves, qu'il y a des mensonges, des erreurs: il faut donc faire confiance en certaines communications plutôt qu'en d'autres, et cela quel que soit le critère rationnel de démarcation que l'on voudrait utiliser, tel celui d'Imre Lakatos: «la méthodologie des programmes de recherche scientifique est mieux appropriée que toute autre méthodologie pour approcher la vérité dans notre univers réel» (cité par Chalmers, p. 140).