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New Pearl Harbor made in USA

La naïveté de Marie-Monique Robin, aveugle à la fabrication de boucs-émissaires

[Sur Agoravox avec des commentaires]

 

J'ai une certaine admiration pour le travail de Marie-Monique Robin.

Je ne peux qu'être déçu par sa présupposition, dans son documentaire Torture made in USA, quant aux attentats du mardi 11 septembre 2011, selon laquelle ils auraient été faits par les « kamikazes de l’organisation terroriste Al Qaïda dirigée par l’extrémiste musulman Ben Laden » [03:21], répétant les accusations faites par le gouvernement des États-Unis, alors qu’elle en dénonce des mensonges plus acceptables ("politiquement corrects") tout au long du film.

Rarement, Marie-Monique Robin se rebelle par quelque sobre incartade, où elle semble douter lorsqu’elle dit, dans l’introduction du film, à propos de l’attaque de l’Afghanistan : « Officiellement, l’objectif est de capturer Ben Laden et ses hommes qui ont installé des camps d’entrainement dans tout le pays. » [10:01]; ou lorsqu’elle dit à propos de l’invasion de l’Irak le 20 mars  2003 : « L’objectif officiel est de traquer Saddam Hussein et ses plus proches collaborateurs. » [66:17].

Dans son paradigme conformiste, en fait un dogme, on ne comprend guère pourquoi le gouvernement des États-Unis, sous la volonté du vice-président Dick Cheney (plus président du vice que juste vice-président du président d’apparat George W. Bush, renvoyé à l’école primaire pour voir et être vu à la télévision, tandis que Cheney était tranquillement informé de l’approche des avions) a enjoint des tortures dont on sait qu'elles sont inefficaces pour obtenir la vérité qu’elles sont censées révéler. Donc, Marie-Monique Robin croit que « Tout a commencé dans le plus grand secret peu après les attentats du 11 septembre 2001. » [03:08], alors qu’en septembre 2000, le Projet pour le Nouveau Siècle Américain (PNAC), dont beaucoup de membres ont été des membres de l’administration Bush (Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Jeb Bush, etc.) écrit dans son rapport Reconstruire les Défenses Américaines, page 51 :

« En outre, le processus de transformation, même s'il apporte des changements révolutionnaires, est susceptible d'être long, sans un événement catastrophique et catalyseur comme un nouveau Pearl Harbour. Les politiques intérieure et industrielle façonneront le rythme et le contenu de cette transformation, de même que les exigences des missions en cours. »

 (“Further, the process of transformation, even if it brings revolutionary change, is likely to be a long one, absent some catastrophic and catalyzing event – like a new Pearl Harbor. Domestic politics and industrial policy will shape the pace and content of transformation as much as the requirements of current missions.").

Il s’agit d’une stratégie du choc (Naomi Klein exemplifiant d’ailleurs son propos avec le coup d’État du mardi 11 septembre… 1973 au Chili) qui permet de changer les règles (par une terreur venant de la classe dirigeante), que ce soit l’USA PATRIOT Act (acronyme signifiant Loi pour Unir et Renforcer l'Amérique en Fournissant les Outils Appropriés pour Déceler et Contrer le Terrorisme : « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act »), ou une redéfinition restrictive de la torture dans le mémorandum gouvernemental du 1er août 2002 :

 « La douleur physique  considérée comme torture doit être équivalente en intensité à la douleur accompagnant de graves dommages physiques, comme la défaillance d'un organe, des troubles des fonctions corporelles, ou même la mort. » [36:52]

(“Physical pain amounting to torture must be equivalent in intensity to the pain accompanying serious physical injury, such as organ failure, impairment of bodily function, or even death.”).

Ensuite, des psychologues collaborent aux programmes de formation à la torture [59:30], comme la psychiatrie était instrumentalisée contre les dissidents dans l’empire soviétique ou l’est aussi par le capitalisme marchand ; ou des médecins soignent des torturés pour qu’on puisse continuer à les torturer [61:05].

 

Il est notable que les deux cofondateurs du PNAC, William Kristol et Robert Kagan, ont agi afin que le président Bill Clinton attaque l’Irak, alors en vain, et afin que les États-Unis utilisent le prétexte des attentats du 11 septembre 2001, pourtant attribués à des islamistes, pour faire la guerre à Saddam Hussein, quoiqu’à la tête d’un pays laïc fort peu musulman, avec comme vice Premier ministre Tarek Aziz de famille catholique ; et des Irakiens Chiites qui ont ensuite attaqué les chrétiens pour avoir été les alliés de Saddam Hussein...

Or, obtenir la vérité, c'est justement ce que ne voulait pas le gouvernement des États-Unis. Il voulait obtenir des aveux par des accusés étrangers (ou externes : des arabes), avec des « prisonniers fantômes »  [ ??:??] dans des « prisons secrètes » [??:??] (qu’on nommerait pertinemment des « cachots »). Nous nous retrouvons en plein Moyen-âge avec l'Inquisition, où les sorcières avouaient sous la torture les crimes les plus irréalistes pour nous, et constituent clairement pour nos yeux une fabrication de boucs-émissaires (voir Le Bouc Émissaire de René Girard, à propos des accusations des juifs au Moyen-âge d’infanticide ou d’empoisonnement). Si Abou Zoubaydah, secrètement emprisonné durant quatre ans, n'avoue pas, George Bush explique le 6 septembre 2006, dans un raisonnement dont l’ « irréfutabilité » rappelle l’épistémologue Karl Popper : « Nous savions que Zoubaydah avait plus d’informations qui pouvaient sauver la vie d’innocents, mais il a cessé de parler. Tandis que nous l’interrogions, il est devenu clair qu’il avait reçu un  entraînement pour résister aux interrogatoires. Alors la CIA a utilisé un autre ensemble de procédures. » [31:33] (en l'occurrence la torture par l'eau ou supplice de la baignoire). C’est un discours qu’on peut appliquer à n’importe quelle personne sachant être innocente : sans être entraînée, elle aura tendance à résister à l’aveu (comme dans le cas récent de l’ouvrier agricole Loïc Sécher qui a passé sept ans et demi en prison pour un viol dont il était accusé et qu’il n’a jamais avoué, malgré les pressions policières, les procès-verbaux déformés qu’il refusait de signer, etc.).

La guerre est aussi cette désignation de boucs émissaires externes pour renforcer l’unité intérieure (surtout après des élections truquées où le gouvernement est arrivé au pouvoir avec une minorité d’un demi-million de voix sans précédent), comme l’exprime bien l’écrivain Philip K. Dick dans sa nouvelle Les Défenseurs (1953)

« Le conflit interne menace de l'entraîner dans la guerre, groupe contre groupe. Les traditions vitales peuvent être perdues - non pas simplement altérées ou refoulées mais complètement détruites - en cette période de chaos et d'anarchie... Il est nécessaire que cette haine intérieure soit drainée vers l'extérieur, vers un groupe externe, de telle façon que la culture survive à cette crise. Le résultat est la guerre. La guerre est une absurdité pour un esprit logique. Mais, en termes humains, elle joue un rôle vital. Et elle continuera d'exister jusqu'à ce que l'homme soit assez grand pour ne pas connaître la haine. ».

 

Marie-Monique Robin semble croire à « la guerre contre la terreur » [13:05 et 10:28] alors qu’il s’agit d’une guerre pour la terreur : si, après les attentats, Dick Cheney a passé quelques jours dans les quartiers généraux de la CIA où « Il insistait pour qu’ils utilisent des techniques d’interrogatoire dures et sales. » [13:43], c’était pour la fabrication de ces pseudo-coupables, des « Omar nous a terroriser » qui l’ « innocenteraient », avec toutes les erreurs et fautes qui révèlent la supercherie à ceux qui prennent le temps d’examiner les incohérences.

Très judicieusement, Joe Navarro, agent du FBI présent à la prison de Guantanamo dans l’enclave volée à Cuba, conclut en dénonçant cette construction sociale : « La peur peut unir ; mais elle peut unir d’une très mauvaise manière. Et le meilleur exemple, c’est l’histoire des nazis : la peur des juifs, la peur des gitans, la peur de tout. Ça peut rapprocher les gens d’une manière très laide. » [83:09].

Dans le documentaire, le seul passage où il est fait mention de boucs-émissaires, c’est à propos de militaires états-uniens (donc de boucs émissaires internes : des compatriotes), quand le Général Janis Karpinski, commandant des prisons en Irak en 2003-2004, parle d’elle-même comme « parfait bouc émissaire » [79:19], dégradée comme Colonel, suite à une enquête « qui a permis au Président de désigner les coupables comme quelques brebis galeuses qui ont perdu la tête dans les permanences de nuit »  [79:36] lorsque des photos de tortures de prisonniers en Irak sont révélées, et après que le Général Antonio Taguba, n’a été autorisé qu’à interroger que jusqu’à son niveau, et pas plus haut dans la hiérarchie [78:42].

Et comme en témoigne David Debatto, officier de la 205e brigade d’Intelligence Militaire :

« Nous voulions obtenir des réponses. Certains voulaient carrément se venger. On nous avait dit que Saddam était impliqué dans les attentats du 11 septembre. » [67:15].

L’usage de la torture était donc une machine  à produire des faux-témoignages de force, afin d’attribuer mensongèrement le « nouveau Pearl Harbour ».

Cette myopie de journaliste factualiste, ne voyant nettement que ce qui ne va pas trop loin et laissant dans le flou les motivations du gang Cheney, est « obligatoire » pour que soit publié son documentaire sur une chaîne télévisée française comme Arte (à comparer avec le discours inconséquent d’Éric Laurent ménageant la chèvre et le chou, ce qui le préserve de l’ostracisme subi par Thierry Meyssan, par exemple). Par exemple, en se limitant au cadre étroit de l'usage de la torture, le Secrétaire d'État Colin Powell, qui fait partie des « récalcitrants » [24:36], apparait comme un « chic type » [20:55], en omettant qu'il a participé à l'accusation mensongère de l'Irak avec sa fiole de poudre de perlimpinpin à l'ONU.

Et comme l’avait écrit Upton Sinclair (dont le roman Pétrole ! a inspiré le film Il y aura du sang, deux titres de circonstance…), « Il est difficile de faire comprendre quelque chose à quelqu'un dont le salaire dépend du fait qu'il ne comprenne pas. ».