L'hormone
de croissance
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Sources:
[A] Sokolsky Catherine: "Hormones de croissance: les dessous d'un scandale", dans Que choisir, nº 359, avril 1999, p. 14-21.
[B] Tabet Marie-Christine: "Hormone de croissance: le premier médecin prescripteur mis en examen, et "Un rapport accablant", dans Le Figaro, 09/08/2001.
[C] Richard Jean-Alphonse: "Hormone de croissance: le mystère des dossiers disparus", dans Le Figaro, 15-16 février 1997.
[D] Casteret Anne-Marie: "Un nouveau scandale médical", L'Express 09/01/1997, p. 36-41.
[E] Nau Jean-Yves: "De nouveaux éléments accablants mis au jour dans l'affaire de l'hormone de croissance", dans Le Monde, 10 janvier 1997.
[F] Dr Pérez Martine "Le circuit flou de l'hormone contaminée", dans Le Figaro, 10/01/1997.
[G] Rossion Pierre: "Quand grandir tue...", dans Science et vie, Nº 973, octobre 1998, p. 50.
[H] Sokolsky Catherine: "Hormones de croissance: le procès tarde", dans Que choisir, nº 391, mars 2002, p. 34.
Dans les années 1960, un traitement pour les enfants dont la glande hypophyse ne secrète pas d'hormone de croissance, est testé plusieurs années aux USA: il consiste à extraire l'hormone de croissance de glandes hypophyses de personnes décédées à l'hôpital, à la réduire en poudre, à la diluer et à l'injecter chaque semaine aux enfants durant les quatre ou cinq ans qui précèdent leur puberté, à raison de 300 mg d'hormone de croissance par enfant et par an. [D:37-38]
En 1972, le Pr Royer, pédiatre, crée à Paris une structure de soins qui sélectionne les enfants, collecte les hypophyses dans les morgues hospitalières, extrait et purifie l'hormone (sous la responsabilité du Pr Dray de l'Institut Pasteur), la conditionne en ampoules et la distribue à l'hôpital (sous la responsabilité de la Pharmacie centrale des Hôpitaux, la PCH)), le traitement étant remboursé par la Sécurité sociale, sans autorisation de mise sur le marché. En 1973, l'association France-Hypophyse, en situation de monopole réunit dans son conseil d'administration pédiatres, pharmaciens, scientifiques, responsables administratifs du ministère de la Santé et de la Caisse nationale d'Assurance-maladie.
Le nombre d'enfants traités passe de 80 en 1974 à 800 en 1983, année où le P Dray décide d'acheter des hypophyses en Bulgarie, où le critère d'exclusion d'hypophyses douteuses (infection virale ou démence de la personne décédée) sont plus stricts qu'en France, car on sait que des greffes de cornée ou des interventions neurochirurgicales avec un matériel insuffisamment stérilisé ont causé la transmission de la rage, d'encéphalite ou de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez la personne opérée. [D:38]
En 1980, France-Hypophyse consulte le Pr Luc Montagnier de l'Institut Pasteur de Paris, qui avertit du "danger de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob" dans la préparation de l'hormone de croissance à partir d'hypophyses humaines. [A:18] Sur ses conseils sont édictés des critères protocolaires stricts: les prélèvements doivent être effectués sous l'autorité du chef de service d'anatomopathologie, qui doit exclure de la collecte tout cerveau de malade mort d'encéphalite aiguë, de tumeur intracrânienne ou de maladie chronique du système nerveux [D:38]
En 1983, L'Igas produit un rapport sur France-Hypophyse: leurs médecins collecteurs demandaient aux garçons d'amphithéâtre (agents des salles d'autopsie) des hypophyses contre 30 FF, sans passer par les chefs de service de la morgue et hors de tout contrôle. On néglige très souvent d'établir un procès-verbal et "des sorties d'organe se font ainsi à l'insu de la direction de l'hôpital". Les spécialistes de France-hypophyse, critiquent "les interventions inopportunes et les commentaires et suggestions de l'Igas aux personnels d'exécution" sans remettre en cause l'organisation de la collecte. [D:38] A partir d'avril 1985, les hypophyses sont achetés 50 FF. [A:18]
En 1984, France-Hypophyse récolte 10.000 hypophyses françaises à 34 F l'unité, qu'elle revend 102 F à l'Institut Pasteur. Il en faut 133 pour extraire 1 g d'hormone, soit 13.500 F/g pour l'Institut. Extrait et purifié, ce gramme est revendu 65.000 F à la PCH, qui répartit la poudre en ampoules de 1 mg à 145 F et de 2 mg à 240 F pour la Sécurité sociale, soit 120.000 F/g. Cette année-là, la PCH a un chiffre d'affaires de 33 millions de francs pour la vente d'hormone de croissance française. [D:40]
Au début de 1985, des firmes pharmaceutiques proposent une hormone synthétique sans risque de prion; cette technique va vite être exclusivement utilisée dans les pays anglo-saxons qui interdisent la méthode extractive, mais pas encore en France, en Autriche, en Italie et en Espagne.
Du
15 au 18 avril 1985, un congrès de pédiatrie en Floride annonce que trois
jeunes aux USA sont atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, après un
traitement par hormone de croissance. [A:19;
D:38; F]
Le 14 mai 1985, le conseil d'administration de France-Hypophyse, décide à l'unanimité de ne délivrer de l'hormone de croissance que retraités à l'urée, nouveau procédé pour éliminer le prion, et "d'inactiver à l'urée les 30 grammes d'hormone détenus à la Pharmacie centrale des hôpitaux et de tous les lots fabriqués ultérieurement". [D:36&39, F].
Le 17 juin 1985, la direction de la pharmacie et du médicament interdit l'usage de lots potentiellement contaminés par l'agent infectieux de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. [E]
Pourtant, quatre lots de poudre d'hormone non retraitée à l'urée ont été distribués après le 10 juin 1985. Jusqu'en février 1986, 30 g d'hormones, soit 20.000 ampoules de traitement contaminés ont été prescrits à de nombreux enfants. [C&D] Le reste du lot 85029, soit 7.000 doses surtout extraites d'hypophyses bulgares et écoulé jusqu'au 11 juin 1985. Le 15 mai, soit le lendemain de la réunion, Marc Mollet (le pharmacien chargé au sein de la PCH de la distribution) met en circulation le lot 85031. Le lot 85040 est commercialisé du 29 juillet jusqu'en octobre 1985, et le lot 85050 du 25 octobre 1985 jusqu'en février 1986. Par ailleurs, le 14 mai 1985, un coursier de la PCH amenait les 30 g de poudre qui devaient être inactivés à l'urée au laboratoire du Pr Dray à l'Institut Pasteur et en repartait avec 5g d'hormone bulgare non retraitée et conditionnées pour faire les 5000 doses du lot 85050. [D:39]. Selon une expertise comptable de la juge, la perte aurait été de 5,5 millions de francs si avaient été détruits les deux premiers lots, déjà conditionnés et donc impossibles à retraiter, et si la poudre encore en vrac des deux derniers avait été décontaminée par l'urée. [D:36-37] Les lots 85031, 85040 et 85050 contenaient trop de germes infectieux pour être utilisés. Par exemple, le lot 85040 contenait 27400 germes par millilitre, soit 1000 fois la norme admise par la PCH. Le pharmacien Dominique Pradeau aurait refusé d'agréer le lot et prévenu Marc Mollet de ces anomalies, mais la préparation et la distribution des 5000 doses du lot 85040 furent maintenues. Pour les lots suivants, les responsables du contrôle refusèrent d'inscrire la mention "Accepté" [D:38]
En 1988, l'hormone extraite d'hypophyses humaines est abandonnée et l'hormone synthétique est autorisée sur le marché français.
En 1989 apparaissent les premiers cas français de maladie de Creutzfeldt-Jakob causée par l'hormone de croissance.
Dans un document émanant de France-Hypophyse et daté du 6 décembre 1991, le Pr Job reconnaît implicitement que des nouveaux traitements ont pu être initiés après juin 1985 par des hormones extractives à risque dès lors que ces traitements "étaient véritablement urgents" [E]
En décembre 1991, la juge Marie-Odile Bertella-Geoffroy ouvre l'instruction judiciaire. [D:37]
Le 6 février 1992, Le Monde publie un article sur dix cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob "chez des enfants traités avant 1988 par une hormone de croissance extraite de glandes hypophyses prélevées sur des cadavres." Le ministre des affaires sociales et de l'intégration Jean-Louis Bianco et le ministre délégué à la santé Bruno Durieux demandent une enquête à deux personnalités pourtant directement impliquées dans l'affaire: le Pr Jean-Claude Job, président de France-Hypophyse et Jacques Dangoumeau, directeur de la pharmacie et du médicament. [E]
En juillet 1992, le ministre de la Santé Bernard Kouchner commande une enquête à l'Igas, qui conclut à une absence de contrôle et à une collecte toujours aussi dangereuse: les garçons d'amphithéâtre prélevaient même dans les morgues des services les plus exposés: neurologie, maladies infectieuses, géronto-psychiatrie. Ainsi l'hôpital pour personnes âgées Charles-Foix, à Ivry, où 30 % des pensionnaires souffraient de démence sénile, ce qui interdisait tout prélèvement thérapeutique. Pourtant, en 1985, on récolta les 681 hypophyses des 681 malades décédés dans l'année. [D:40]. Cerceau avait alors affirmé aux inspecteurs de l'Igas que l'hormone de croissance à risque déjà conditionnée avait été détruite en juillet 1985 et qu'un "bordereau de destruction de juillet 1985 attestait de ce fait", mais les inspecteurs ajoutaient qu'ils "n'avaient pas pu avoir communication de ce document." Le rapport de l'Igas ajoutait que la PCH n'a pas rappelé, à partir de juin 1985, les lots non traités selon les nouvelles normes, ni dans les pharmacies hospitalières ni chez les parents des enfants traités, alors que la firme pharmaceutique suédoise Kabi avait retiré du marché les lots qu'elle avait fabriqués auparavant. [E]
De 1984 à 1992, les profits engendrés par l'hormone de croissance ont été 609000 € (4 millions de francs) pour la Pharmacie centrale des hôpitaux, de 381000 € (2,5 millions de francs) de commissions sur les ventes de sous-produits d'hormones pour l'Institut Pasteur; et de 1986 à 1992 le Pr Dray a encaissé plus de 50000 € (328000 F) de commissions personnelles sur les ventes. [H]
En 1993, la ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville Simone Veil reconnaît que l'État était impliqué. Des indemnisations sont proposées aux familles des jeunes victimes à condition que ces familles renoncent "à toute poursuite à l'encontre de l'État, des personnes et des institutions dont la responsabilité avait été évoquée" (Le Monde daté du 31 octobre-1er novembre 1993) [E]
En juillet 1993, la juge Bertella-Geoffroy met en examen pour homicide involontaire le Pr Jean-Claude Job, pédiatre et président de la Fondation France Hypophyse, et le Pr Fernand Dray, chef de l'unité de production de l'hormone de croissance à l'Institut Pasteur, puis quelques mois plus tard de Jacques Dangoumau, directeur de la pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, et le Dr Élisabeth Mugnier, responsable de la collecte des hypophyses dans les morgues des hôpitaux.
En 1993 on apprend que les locaux de l'Institut Pasteur où le médicament était produit ont été rasés, et que les archives ont disparu dans un incendie. [G]
Le 7 novembre 1996, lors de la visite des policiers à la Pharmacie centrale des hôpitaux, l'un des pharmaciens, M. Darbord, fait constater la disparition d'un dossier essentiel. Celui-ci, selon le témoin, était bien à sa place jusqu'en janvier 1995, date à laquelle le service avait procédé à un étiquetage en bonne et due forme. Il contient les résultats des tests pyrogènes réalisés sur les produits de la PCH en 1984 et 1985, et permettent notamment de révéler des vices de fabrication. [C]
Les responsables d'un laboratoire de Liège, qui œuvrait dans les années 1980 avec l'Institut Pasteur, sont très critiques envers les méthodes françaises, concernant les méthodes de filtrage, et donc de purification des produits destinées à la fabrication de l'hormone de croissance.
Le 10 décembre 1996, lors d'un interrogatoire policier, une employée de la PCH, Michèle Roy, chargée du secrétariat de la Commission de l'hormone de croissance de 1977 à 1981, révèle avoir été chargée en octobre 1996 d'un banal inventaire dans un bureau de la Direction scientifique. Dans la première semaine de novembre, elle découvre, glissés au milieu d'autres dossiers, les éléments financiers des années 1984 et 1985, et les remet à la direction de la PCH. [C]
A la mi-janvier 1997, Henri Cerceau, ex-directeur de la PCH, et Marc Molet, pharmacien responsable de la distribution des lots en 1985, sont mis en examen pour empoisonnement, pour avoir écoulé sciemment des stocks dangereux et dissimulé des preuves de ce délit. [C; D:40]
En 1998, un rapport de police fait état à la Pharmacie centrale des hôpitaux de la disparition volontaire de pièces scientifiques capitales et de négligences organisées afin d'empêcher l'enquête de progresser. [G]
En 1998, les parents de Sébastien Birolo portent plainte contre X. Il est mort en 1997 de la MDJ à 19 ans, à la taille de 1,80 mètre alors que la plupart des enfants souffrant de nanisme hypophysaire soumis à un traitement atteignent rarement plus de 1,60 mètre. Une première expertise n'a pas remis en cause la pratique du Dr Gourmelen, mais les parents Birolo et leur avocat Me Fau ont établi que des liens avaient existé entre l'expert et l'association France-Hypophyse. [B]
En 1999, le Pr Fernand Dray, qui dirigeait l'unité de production de l'hormone de croissance à l'Institut Pasteur, était mis en examen pour "abus de confiance, corruption passive et recel, complicité d'exercice illégal de la pharmacie". [H]
Le 31 janvier 2001, la juge Bertella-Geoffroy commande une expertise à Serge Kernbaum et Marc Girard, qui lui est remise en juin, où il est écrit que "La croissance de Sébastien est normale au sens clinique et statistique du terme.", "Madame Gourmelen a décidé de son seul chef une nouvelle indication pour l'hormone de croissance", liée à un défaut hypoglycémique. Les rapporteurs expliquent que le traitement pour hypoglycémie sévère est réservé à des nouveau-nés sur une courte période. Or Sébastien a été traité à partir de 4 ans jusqu'à 17 ans, sans que le médecin ne révise sa prescription "Pareille initiative individuelle est scientifiquement, réglementairement et éthiquement inacceptable." Un avocat proche du dossier se demande "si le docteur Gourmelen n'a pas cherché à tester sur Sébastien de nouvelles utilisations à l'hormone de croissance." [B]
Le 8 août 2001, la juge Bertella-Geoffroy met en examen pour homicide involontaire une onzième personne: un médecin prescripteur, le Dr Micheline Gourmelen, membre de l'European Society of Pediatric Endocrinology depuis 1982, elle a longtemps assisté l'un des membres de l'association France-Hypophyse. [H]
En avril 1999, parmi les 90 jeunes morts sur Terre d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob à la suite d'un traitement à l'hormone de croissance, 60 le sont en France. [A:3?]
Début 2002, on répertorie 81 décès en France de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à cause de la contamination par l'hormone de croissance extraite d'hypophyses humaines, soit 75 % des cas terrestres. [H]
Le Pr Job demande un non-lieu selon la nouvelle loi sur la présomption d'innocence; le Pr Dray a fait une demande d'annulation, ainsi que, en raison d'expertises contradictoires, la famille Birolo et le Dr Gourmelen , prescripteur du traitement de leur fils. [H]
L'Association des parents d'enfants victimes de la maladie de Creutzfeldt-Jacob (Apev) a décidé de porter plainte contre l'État français auprès de la Cour européenne des droits de l'homme pour non-respect des délais raisonnables de la procédure judiciaire. [H]
L'organisation de France-Hypophyse ressemble à celle de la transfusion sanguine française: un aréopage d'éminents spécialistes, propriétaire jaloux d'un monopole thérapeutique, flanqué d'une entreprise commerciale déguisée en service public.