Croissance du PIB et de la dépendance
[15/04/2012]
Qu'est-ce que la "croissance"? Le discours dominant est qu'il faut maintenir ou augmenter la "croissance". Il s'agit en fait d'une synecdoque faisant croire qu'il s'agit de la croissance universelle, forcément séduisante et désirable, alors qu'on ne parle que de la croissance d''une quantité économique: la croissance du "produit intérieur brut". "Produit intérieur brut" est un euphémisme vague: il s'agit de l'ensemble des produits finaux consommés et payés (finaux car afin d'éviter de compter plusieurs fois la même chose, on ne compte pas les consommations intermédiaires, comme la farine achetée par le boulanger pour faire son pain, mais que son pain acheté par son client), additionné de ce qui est exporté et soustrait de ce qui est importé. Ainsi, toute activité des personnes qui n'est pas dans un échange monétaire n'est pas comptabilisée dans le PIB (et d'ailleurs même des échanges non officialisés, non déclarés au fisc). Surtout, elle comptabilise ce qui est négatif. Par exemple, une personne qui cultive son jardin potager avec des graines de son jardin qu'il sème, se nourrit sainement et ainsi ne tombe pas malade, a une activité nulle pour le PIB ; alors qu'une personne qui achète une voiture pour aller à son travail, a un accident de la route, se casse une jambe, achète de la nourriture industrielle, tombe malade, prend des médicaments, a des activités qui sont comptabilisées dans le PIB, aussi néfastes soient-elles pour lui. Le candidat à l'élection présidentielle des Etats-Unis, Robert F. Kennedy, a bien décrit le problème du PIB dans un discours du 18 mars 1968: « Notre PIB prend en compte, dans ses calculs, la pollution de l'air, la publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur nos routes. Il comptabilise les systèmes de sécurité que nous installons pour protéger nos habitations et le coût des prisons où nous enfermons ceux qui réussissent à les forcer. Il intègre la destruction de nos forêts de séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et chaotique. Il comprend la production du napalm, des armes nucléaires et des voitures blindées de la police destinées à réprimer des émeutes dans nos villes. Il comptabilise la fabrication du fusil Whitman et du couteau Speck, ainsi que les programmes de télévision qui glorifient la violence dans le but de vendre les jouets correspondants à nos enfants. En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l'intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue ».
Pourquoi les Etats veulent la croissance du PIB? Croissance du PIB et hétéronomie L'autonomie (comme dans l'exemple du jardinier potager) s'oppose à la croissance du PIB. La croissance du PIB est en fait la croissance de l'hétéronomie, c'est-à-dire la croissance de la dépendance à autrui. Le plus grand intérêt de la croissance du PIB est aux ambitieux, avides de dominer les autres, par des organisations collectives que sont les firmes ou les Etats. Les deux ont intérêt à ce que les personnes ne soient pas autonomes, qu'ils achètent leur eau plutôt que d'utiliser leur puits (ils ont même intérêt à ce que l'eau des rivières ne soit plus potable afin de vendre sa dépollution), leur nourriture plutôt que de jardiner, leurs graines plutôt que de replanter, travaillent loin plutôt que près, soient malades plutôt que sains, etc. Ils ont intérêt à ce que les familles soient disloquées (travail salarié des femmes, donc plus de travailleurs en concurrence sur le marché, et moins payés; divorces, donc plus de consommation, avec les logements, les restaurants, les plats préparés industriels; enfants à occuper hors de la famille, etc.). Les Etats renforcent leur pouvoir par leur financement. Dans les Etats contemporains, la moitié des recettes fiscales provient de la taxe à valeur ajoutée (TVA), et ils ont donc intérêt à ce qu'il y ait plus de produits vendus, à ce que les contribuables consomment plus.
Croissance du PIB et cavalerie Un autre facteur rend la croissance du PIB encore plus contrainte: la création monétaire. Dans les époques où traditionnellement, la monnaie est un matériau précieux (or, argent) limité et rare, la croissance des échanges marchands était limitée par l'extraction de ce matériau. Mais dans l'époque moderne où la monnaie n'a aucune valeur intrinsèque, mais qu'une valeur légale, la quantité de monnaie dépend des crédits créés, accordés par les banques. Mais pour rendre ce capital additionné des intérêts, il faut aussi créer la monnaie des intérêts. Alors il faut encore plus d'échanges marchands pour créer plus de monnaie: toute activité doit devenir un échange marchand, ou être taxée (comme les puits dans les jardins); il faut augmenter la population (natalisme, immigrationnisme), voire solutionner la crise par la guerre.
Comment sortir de ce système délétère? - Il faut que la création monétaire soit un service public et gratuit, non qu'il profite à des banques privées, et que cette création monétaire soit corrélée à l'activité voulue. - Il faut supprimer les impôts qui profitent de l'hétéronomie et du travail, comme la TVA. Les impôts sur les produits et activités doivent correspondre à leur nuisance (taxation des produits polluants pour payer les frais médicaux par exemple). Les impôts doivent taxer surtout les profits du capital, et l'inflation n'est pas à craindre, car il suffit de réinstituer une indexation du travail salarié minimal (et autres minimas sociaux) sur l'inflation (comme avant 1982 en France). - L'Etat doit devenir démocratique, c'est-à-dire être constitué par le peuple, avec des assemblées de citoyens tirés au sort pour des mandats brefs. Ainsi l'Etat n'est guère au-dessus des citoyens, mais n'en est que la collectivisation.
Annexes (citations)
« Paul Gardner-Stephen, un chercheur australien de l'université Flinders d'Adelaïde, avec l'aide d'étudiants de l'Institut national de sciences appliquées de Lyon (INSA). Selon lui, son invention restaure les vraies potentialités des téléphones mobiles : "Dans les années 1980, les ingénieurs travaillant sur les premiers prototypes avaient imaginé des réseaux mesh, simples et bon marché. Mais les compagnies de téléphone les avaient empêchés de travailler dans cette direction, parce qu'elles voulaient préserver leur modèle pyramidal contrôlé par le haut, hérité du téléphone filaire - techniquement caduc mais commercialement très profitable. Aujourd'hui encore, si les mobiles ne peuvent pas se parler directement au niveau local, c'est parce qu'ils sont verrouillés par les opérateurs, qui obligent les usagers à passer par leurs relais et donc par leurs systèmes de facturation." ». Yves Eudes: "Le logiciel de téléphonie mobile qui défie le contrôle des Etats", Le Monde, 21.04.2012 à 10h10 http://www.lemonde.fr/international/article/2012/04/21/le-logiciel-de-telephonie-mobile-qui-defie-le-controle-des-etats_1688852_3210.html
« L'autre jour, j'ai emmené Marie-Jeanne, ma copine chauffeuse de taxi, à une de ces réunions féministes où l'endoctrinement remplace le Tupperware. J'étais assez curieuse de connaître ses réactions. La rencontre se passait à deux pas de la Muette, dans l'appartement grand standing de notre hôtesse, étudiante psyché-po. Marie Sophie pérorait depuis un bon quart d'heure en reven|diquant le droit au travail pour toutes les femmes. Marie-Jeanne, qui jusque-là se contentait de lutter contre le sommeil, se leva d'un bond. — Qu'est-ce que tu connais à tout ça, toi qui es née le cul dans la dentelle? Crois-tu que ma mère, ma grand-mère, mes tantes se sont battues pour bosser en usine? À la place d'un boulot aussi con, elles auraient sûrement préféré rester à la maison si elles avaient eu les moyens. — Ne m'agresse pas. Ta lutte est MA lutte... Marie-Jeanne. était déjà dans l'antichambre et moi sur ses talons. La colère embrasait son beau regard fauve et décolorait ses lèvres. Elle donne un grand coup de poing dans la porte cochère, sans se calmer pour autant. Une image fugace me traverse l'esprit. Je vois Marie-Jeanne en train de zigouiller la péronnelle. J'imagine le scénario, quand elle me lâche cette pensée non dénuée d'intérêt: — L'émancipation de la femme passe par son combat contre l'idée de femme-objet alors que le mari est obligé d'être la machine à gagner du fric. Mais, ce genre de débat, c'est pour les femmes qui ont le temps de réfléchir. » Bernadette Laffont, Ma vie est un roman (Souvenirs), 1997, p. 145-146 [Lu le samedi 4 août 2012].
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