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Chapitre XXXIII

 

 

Mercredi 17 avril 2002.

Je n'ai pas écrit jusqu'ici un sentiment que j'ai souvent: l'humiliation. L'humiliation que l'humaine soit retournée à l'humus.

 

Vendredi 19 avril 2002

Journée déprimante passée chez moi à ranger sans sortir.

Je me dis que j'aurais dû rester toute ma vie avec Ghislaine. Je n'y suis resté que toue sa vie. Aurait-elle survécu à une rupture. C'est l'exclusivité érotique durant des décennies et qu'elle exigeait qui m'effrayait.

 

Mardi 23 avril 2002.

Au lieu de me souvenir de mes rêves avec toi, je fuis à la quête d'un nouvel objet, sujet, agent, érotique féminin.

A la fin de cette nuit, j'essaierai de me souvenir d'un rêve avec toi.

J'aimerais me souvenir de la première fois où elle est montée chez moi, comment elle était habillée, comment était mon studio, comment elle a réagi, ce qu'elle pensait.

 

Mercredi 24 avril 2002.

Publication du site.

Je ne me suis souviens d'aucun rêve.

C'était bien choisi, le titre "Les derniers mots", avec le mail que j'ai ensuite reçu...

 

Mardi 30 avril 2002.

A une émission télévisée, j'apprends le mot "transcommunication", en particulier instrumentale, à propos de ces personnes qui enregistrent des voix de leurs défunts proches sur des magnétophones, ou des traces sur des photos, des téléviseurs.

 

Mardi 30 avril 2002.

Je pense à ses mains que je n'ai plus jamais revues, cachées qu'elles étaient par les fossoyeurs professionnels. Quelle longueur faisait ses ongles. Avait-elle du vernis? Ses mains ont-elles été abîmées, écrasées?

 

Mercredi 1er mai 2002

Je suis dans le Vieux Lyon, Place Saint-Georges, près de l'église où, voici trois ans, nous avions dormi lors de notre premier passage près de la passerelle vers laquelle j'étais tombé à roller, avec l'idiote idée de visiter ainsi les grandes villes pour moins de fatigue. Après, j'avais passé un long temps à découvrir comment changer le filtre à gazole. Un an et demi après, nous étions garés près du cinéma où nous étions abonnés.

La descente où nous n'avions pas pu prendre un couple d'auto-stoppeurs à cause de notre aménagement mou... L'amphithéâtre antique sur le parking duquel j'avais dormi seul lors de mon premier voyage avec mon premier van (orange), voici neuf ans.

J'attendais la tragédie; maintenant je la vis.

Nous allions si souvent dans les églises, en voyage. Elle aimait ça, et c'était gratuit.

La crypte me fait penser au mausolée de Verdun où nous étions au début de notre dernier voyage, ces millions de jeunes hommes qui se sont laissés envoyer à la mort pénible. Si peu ont pu s'enfuir de ce massacre. Combien ont préféré se laisser tuer plutôt que de vivre cet enfer?

Les gens se rassurent à penser qu'Auschwitz, c'est passé.

 

Samedi 4 mai 2002.

Je viens de vérifier sur le reste des dessins de Ghislaine sur une carte que je ne pouvais utiliser jusqu'à aujourd'hui, et il n'y aucune mention du mot "nénette" pour nommer la vannette. Le mot n'a pas donc pas pu être trouvé par un espionnage des fichiers de mon ordinateur connecté à internet.

 

Lundi 6 mai 2002.

Je pleure. J'ai rêvé que je recevais un second message.

Le premier message pourrait représenter une étape où elle refuse la mort.

 

Lundi 20 mai 2002.

Je lis des poèmes, des écrits de Ghislaine:

"En l'an 2033

J'aurai 65 ans

Est-ce que j'serai encore là"

Quelques pages plus loin, un autre sur "Mon beau vélo".

Je viens de lire une lettre qu'elle adressait à la mère de mon ami roumain, où elle parle des soucis que nous avons eus à notre retour en France, et où elle orthographie "Begy", comme dans le message que j'ai reçu après sa mort. L'hypothèse de l'origine malveillante du message me semble de moins en moins probable. Aurait-elle laissé un message sur mon ordinateur, qui aurait étrangement transité ensuite? Je crois que non, car elle n'a jamais été capable d'ouvrir, et encore moins de créer un fichier afin d'écrire dedans.

 

Dimanche 26 mai 2002.

Je me souviens, dans cette ville hollandaise, Haarlem, où j'avais dû purger le filtre à gazole après avoir voulu vite y arriver malgré le voyant allumé, afin de profiter de la fin du jour ensoleillé dans ses petites ruelles.

Quelques jours plus tôt, à Ostende, un skatteur dont le chien le suivait à chaque aller retour: "Oh Sacho!", avait dit son jeune maître ému. Nous avons souvent évoqué cette scène. Quelques minutes plus tôt, j'avais repéré une jeune femme à la poitrine opulente qui traînait (promenant un chien?), et mon désir envers elle, de la connaître.

Quelques mois plus tôt, nous étions allés jusqu'en Belgique, et Ghislaine, jalouse, déprimait longtemps, à Compiègne sous le Soleil, et à Cuesmes sous l'humidité, près d'une maison où avait vécu Vincent van Gogh.

 

Mardi 18 juin 2002

En déroulant la dernière bande de photos diapositives, je découvre les deux photos couleur que j'avais faites de Ghislaine dans son cercueil. Je les avais oubliées. Je vois d'abord les photos que j'ai faites seul à Lyon et en en revenant, souvent sous la pluie. Et puis les dernières photos que j'ai faites avec elle, dont beaucoup en banlieue est, en allant aux magasins Ikea, puis Auchan.

 

Jeudi 20 juin 2002

Je viens de lire un article sur la perturbation de l'équilibre par l'anxiété. Procès contre SFR, reprise prochaine de son travail, relation avec moi, craintes sur ce que je ferais pendant qu'elle travaillerait: l'anxiété de Ghislaine l'a peut-être tuée. Et l'étrangemail exprime cette crainte jalouse qu'il y ait une autre femme. A quoi pensait-elle lorsqu'elle a eu l'accident? Me voyait-elle, me regardait-elle? Avait-elle une pensée triste?

 

Samedi 29 juin 2002

Je l'ai déjà raconté, je crois: lors de notre premier voyage en Scandinavie, elle me disait que lorsque je serai un vieux pépé, elle me mettrait mon écharpe pour pas que j'attrape froid. J'étais nostalgique par avance de ce voyage et disais sans y croire que nous reviendrons ensemble lorsque nous serons vieux.

Un soir, au Danemark je crois, je me retourne vers elle et je suis étonné de voir qu'elle marchait juste derrière moi, collée à moi, toute petite sans talons, pour me faire rire.

Au musée du château de Milan, elle m'avait recouvert la tête d'un foulard et elle faisait durer la plaisanterie, c'est ce qui la rendait drôle pour nous et un gardien qui nous observait. Sac à malices.

 

Lundi 1er juillet 2002

Les moments où j'étais content d'être avec elle et ceux où j'étais mécontent d'être avec elle sont inversés. Les moments où je suis mécontent d'être sans elle dominent, ceux où je suis content d'être sans elle sont très rares, il s'agit plutôt de moments où je vis sans penser à elle.

 

Samedi 6 juillet 2002

Mon petit rayon de soleil s'est éteint. Chaque matin est une nuit où je me réveille malheureusement.

 

lundi 15 juillet 2002

Selon l'orphisme, "les envoyés de Dieu ou des Dieux sont de deux sortes: Ceux qui écrivent ont une vie longue parsemée d'épreuves, de doutes. Les Autres ont une vie courte et ils sont offerts en sacrifice. Leur voix est un enchantement. Les animaux féroces sont apaisés..." (Ivano Ghirardini). Nous verrons, ou vous verrez, si ma vie est longue.

 

vendredi 19 juillet 2002

La sœur de Ghislaine me téléphone. Elle s'interroge relativement au mail reçu. Mardi, sa chaîne hi-fi s'est allumée sans que personne n'y touche n'y n'ait touché à la télécommande, puis elle est passé du mode radio du mode compact-disque. Elle a peur de "déranger" Ghislaine, de l'empêcher de "monter au ciel", surtout qu'après les contrecoups que Ghislaine avait subis de ses expériences étranges, elle s'était jurée de ne pas recommencer.

 

Lundi 22 juillet 2002

Promenade au Palais-Royal, à l'église des Petits Pères et sur les quais de la Seine.

 

Je songe à la marque indélébile d'un tatouage définitif de Ghislaine sur ma peau.

 

Je suis bien le soir lorsque l'espace se restreint sur ma chambre. Je suis angoissé le matin, lorsque je m'éveille seul, dans l'espace dilaté de la lumière solaire. Le dessus de lit vert. Les rideaux translucides jaunes.

 

Mercredi 24 juillet 2002

Je téléphone à mon ami Valentin, médecin roumain, par hasard le jour des 75 ans de sa mère Nina. A propos du mail, il me dit n'avoir jamais entendu Ghislaine m'appeler "Lucanou". En 1959, peu de temps après la mort d'un oncle trois personnes de sa famille ont entendu en même temps des pas sur le parquet d'une pièce de la maison de Tirgoviste, comme si on traversait la pièce en diagonale. Ils ont suivi les pas mais il n'y avait plus rien. Ces dix dernières années, Valentin m'a dit avoir ressenti une dizaine de fois des présences en se levant dans la nuit.

 

Dimanche 27 juillet 2002

Va-t-on faire un procès de non-intention à propos de la mort de Ghislaine? Ce qui me semble plus grave, c'est l'homicide non ciblé, à qui on n'a rien à reprocher.

 

Mercredi 31 juillet 2002

Assassinat à la roulette russe.

 

Ghislaine envahit mon cerveau. plus qu'une dépression, c'est une obsession.

Le traitement officiel vus tient le plus à l'écart de tout, de toutes les informations.

 

Jeudi1er août 2002, jour du procès.

Je préfère un assassin maladroit qu'un conducteur maladroit.

"cage thoracique brisée"

"traumatisme crânien avec enfoncement péri-orbital droit et hémorragies auriculaires"

Elle a poussé un cri d'effroi ou de douleur selon un témoin, puis plus rien après le premier choc.

 

Vendredi 2 août 2002.

Je suis à Sézanne, je pleure en me promenant faire des photos. Je suis choqué par l'attitude de l'avocat général: "ça peut arriver à tout le monde".Ca arrive deux fois moins en Grande-Bretagne

 

Dimanche 4 août 2002.

Ghislaine m'a apprivoisé. Quelle dompteuse de fauves elle faisait, avec sa patience, cette frêle créature.

Superstition: il a "fallu" que je m'assoie sur les deux bans face à face d'un abris-bus.

Je fais d'autant plus de photos de chantiers que je fais plus de voyages et de photos en été, quand il y a plus de chantiers.

Une deuxième fois avec les bancs, et une photo où ne se reflètent que mes jambes au-dessus du banc en face de celui où je suis assis.

 

Jeudi 8 août 2002.

Il m'a été dit, d'après le témoignage d'un psychothérapeute qui a frôlé la mort à la guerre, que le cerveau fonctionne encore deux minutes après que le corps ait cessé de bouger, et que peut-être le message reçu aurait été émis à ce moment, mais comment aurait-il mis trois semaines à me parvenir, s'étonnait la même personne.

 

Je me souviens comme j'ai pleuré lorsque nous avons donné Bugy une première fois en Grèce. Ghislaine voulait s'en débarrasser, mais elle m'a dit après qu'elle craignait de trop s'y attacher. Je regrettais de ne pas profiter de ce petit chien qui m'amusait tant, moi qui n'avais jamais eu d'animal domestique. Nous sommes retournés dans la précédente ville reprendre Buggy.

 

La mort de Ghislaine me semble si irréelle que j'en deviendrais solipsiste: j'imagine que tout autour de moi est comme un décor, et qu'on fabrique des épreuves pour mon existence. Et ce mail.

 

vendredi 9 août 2002

Pourquoi est-ce que je pense à la Suède (avec Ghislaine) alors que je suis (seul) à rouler dans la campagne macédonienne?

Je me souviens des deux Groenlandais saouls qui embêtaient Ghislaine sur un pont de Copenhague le soir, alors que je faisais une photo.

 

Samedi 10 août 2002

En voyant un petit bébé chien au péage de l'autoroute macédonienne, je pense à Ghislaine lorsqu'elle a pris dans ses bras un agneau, au Maroc, et les paysans qui nous regardaient, un peu méfiants d'abord, la mère aussi inquiète.

Et je me souviens de la dispute de Ghislaine avec sa mère, affirmant qu'on pouvait dire "bébé chien", et pas "bébé" qu'à propos des humains.

En attendant seul à la frontière serbo-macédonienne, je me souviens la longue attente sous la pluie et la nuit à la frontière polano-lituanienne, et le gros douanier qui avait essayé de nous faire acheter une assurance, y renonçant à cause du rire de Ghislaine qui la faisait rire. Après, pour notre première nuit sous les fenêtres d'un immeuble d'un pays de l'ex-URSS, on nous avait lancés un sac plastique rempli d'eau qui avait explosé à nos pieds.

 

Dimanche 11 août 2002

Chaque matin, je me réveille avec pour première pensée son absence.

 

Nous avons une juridiction d'intention, pas d'attention, du souci de l'autre.

 

Vendredi 16 août 2002.

Alors que je me promène à Lienz, je pense à quand nous nous promenions à Linz.

 

Jeudi 22 août 2002.

J'ai un saladier avec une fourchette un couteau et une cuillère dedans. Je coupe tomates, avocat, poivron, cornichon, citron, ajoute olives, poivre, huile d'olives, parfois riz et poisson.

Parfois, chaque jour, il me faut du sucre. Je mange comme elle.

 

Mercredi 28 août 2002.

Je n'ai pas encore dormi alors qu'il sera bientôt jour. Hier, exceptionnellement, je me suis couché de tôt, et je ne me suis réveillé guère plus tôt, mais surtout avec l'amer goût de rêves de mort de jeune femme vivante (je crois et vérifierai), et de résurrection de jeune femme morte; et de mésentente paternelle.

 

Il y a quelques jours, je me suis reconnu dans ceci du "chien" de l'astrologie chinoise: "Votre pessimisme naturel vous met à l'abri des mauvaises nouvelles et des coups durs.".

Mon petit singe malicieux, mon ouistiti... Celle, parmi mes amantes, qui lui ressemblait le plus, dont j'ai enfin compris qu'elle avait en deuxième place les qualités qui me correspondaient, qu'il me fallait, était de la même période.

Les deux fois où deux amantes étaient en conflit, en rivalité et en relation de haine, elles différaient dans leur jour d'anniversaire de deux jours dans le premier cas, d'un jour dans le second.

 

Mercredi 11 septembre 2002.

Lorsque je pleure, j'ai l'impression d'être Ghislaine. Car je m'assimile à elle pleurant.

 

Dimanche 8 septembre 2002.

"Tendre moitié": l'expression représente si justement ce qu'est Ghislaine pour moi et ce que j'ai perdu, une tendre moitié.

 

Jeudi 12 septembre 2002.

Dans notre civilisation, la mort nous est légalement volée. les proches sont écartés au loin et des fonctionnaires étrangers manipulent, voient la nudité qui nous ait empêchée, pénètrent des aiguilles, extraient du sang. Écœurante, ignoble organisation.

 

Lundi 16 septembre 2002.

Le meilleur moment de la journée, c'est lorsque je m'endors, en ressentant bien l'ensommeillement; et le pire est le réveil, avec le choc de son absence.

 

Mercredi 18 septembre 2002.

Le pire, c'est d'imaginer l'écart entre la vie que je mène et celle que nous mènerions.

 

Samedi 21 septembre 2002. 11711

Tu ne dois pas être un prétexte à mes défaillances. Que tu sois absente ou que tu fus présente.

 

Lundi 23 septembre 2002. 11713.

J'ai rêvé qu'un samedi, je suis allongé sur le tapis du salon, en cette fin de journée ensoleillée. Un film va commencer à la télévision. Mon père est aussi là.Je dois aller avec le van dans un champ pour faire des réparations. J'avais proposé à Ghislaine de profiter de ce déplacement pour se promener ce jour-ci. Je lui demande si elle pense que l'actrice Maria de Medeiros, l'actrice dont nous avons vu le film sur la révolution des Œillets au Portugal, à qui elle ressemble, est aussi comme elle psychiquement. Je pleure discrètement, afin que personne d'autre que Ghislaine ne le voie puis vais vers ma chambre.

Sont-ce mes rêves sur Ghislaine qui me rendent chaque matin si pénible?

 

Lundi 23 septembre 2002.

A propos de Ghislaine: "Anthropométrie d'une femme"

 

Mardi 24 septembre 2002.

Tu m'as raconté, Ghislaine, à quel point du manquais d'un homme, ta frustration sexuelle, qui te faisais imaginer et presque halluciner que tu étais dans les bras d'un homme.

 

Mardi 1er octobre 2002.

Dans une petite ville norvégienne, nous avions trouvé sur le trottoir mouillé un pigeon mal en point, blessé à l'aile. Nous ne savions qu'en faire. Une toute jeune blonde est arrivée, a ôté ses rollers, a examiné l'oiseau puis l'a emportée.

 

J'ai été à moitié détruit.

Mais aujourd'hui je me suis bien amusé.

 

Samedi 12 octobre 2002.

Deux mois et demi après le procès, après avoir maintes fois insisté auprès de mon avocat, j'ai enfin reçu une partie de l'instruction. En lisant certains témoignages, je me demande si Ghislaine n'a pas mésestimé la vision qu'un conducteur de camion pouvait avoir d'elle, et surconsidéré la priorité qu'elle avait...

 

Lundi 14 octobre 2002.

Hier j'ai téléphoné une heure à un des témoins, un chirurgien à scooter qui était derrière Ghislaine. Il a pensé "Il va se la payer". Il a tendance à penser qu'il y a eu un conflit, chacun ne voulant pas céder, l'un considérant sa puissance, l'autre sa priorité. Il se demande quel était le caractère de Ghislaine, dit qu'elle avait la tête baissée. Le chauffard conduisait comme un "bourrin". Le sang sortait abondamment de la bouche, et des oreilles.

 

Jeudi 17 octobre 2002, 11737e journée.

Je crois plus qu'avant qu'elle aurait pu éviter l'accident, mais que l'agacement causé par diverses altercations, agressions, l'a braquée: l'altercation avec le conducteur de bus vingt-trois jours auparavant, après qu'il ait failli la renverser avenue de l'Opéra, la conductrice qui a failli la renverser sans faire attention rue de Rome: la mort se rapprochait plus loin sur le même parcours vers chez ma mère. Il y avait le stress causé par la persécution de la firme téléphonique, l'ingratitude de ceux qui nous ont pris notre chien, la reprise du travail. Je regrette de ne pas lui avoir mieux fait comprendre la priorité qu'il y avait à sauver sa vie en abandonnant ses droits. Mais elle a peut-être imité ma rage, mon intransigeance, plutôt que sa prudence, sa soumission.

 

Deux fois depuis Ghislaine, il advient des choses graves à des femmes que je rencontre. La première chez qui j'ai passé trois jours en province, retombe très gravement malade alors que je prévoyais de la revoir, et elle ne répondait plus au téléphone. Je n'ai su la vérité que deux mois après. La deuxième, avec qui je m'étais très bien entendu, ne me répond plus au téléphone le jour où je devais la voir. Cinq jours après, elle m'apprend que la veille l'épouse de son père était morte. On pourrait imaginer que je porte la poisse, ou que quelque chose d'"intentionnels" empêche certains événements: "ne me change pas pour une autre"...

 

Dimanche 20 octobre 2002.

Quitte à ce qu'elle meure, j'aurais préféré qu'elle soit assassinée pour qu'il n'y ait pas la même indifférence, la même occultation autour de moi.

 

Hier matin, j'ai téléphoné une dizaine de minutes à une postière qui était à vélo sur le lieu de l'accident. Le cri de Ghislaine l'a fait s'arrêter et se retourner, le tempes de voir le camion la percuter et lui rouler dessus. Elle n'a pas grand chose à me dire.

 

Mercredi 23 octobre 2002.

Un océan de tendresse, des vagues d'amour sur mon rivage asséché. Deux seins, deux fesses.

 

Vendredi 25 octobre 2002

À une exposition à la mairie du 10e arrondissement, près de laquelle Ghislaine habitait, au 12 rue du Faubourg Saint-Martin, lorsque je l'ai rencontrée (D'ailleurs, une des premières fois où je l'ai vue, nous sommes passés devant chez elle sans qu'elle me le dise; j'allais ce jour-là à la bibliothèque de la marie, spécialisée dans la photographie. Ce jour-là, je crois, en marchant près d'elle j'avais oublié mon vélo que nous sommes allés rechercher, et cela l'avait amusé. Ce mercredi, je crois, elle avait pris un jour de congé pour me voir car j'avais cru que lorsqu'elle me donnait rendez-vous mercredi, je n'avais pas compris qu'il s'agissait de la semaine suivante, et comme elle voulait me voir, elle a préféré prendre ce jour de congé plutôt que de me le dire. Elle avait pris avant de me rencontrer une semaine de congé que nous avons passé ensemble à Paris, car je n'avais pas encore le véhicule que je commençais à chercher depuis peu. Sans me connaître, elle serait sans doute allée chez ses parents en Normandie chez qui nous ne sommes allés que quatre mois après. C'était la première fois qu'elle présentait un amant à ses parents. Moi-même j'avais mis du temps à la présenter à ma mère. Peu de temps avant notre rencontre, elle avait passée quelque temps chez ses parents lors d'une mononucléose qui l'avait affaiblie. Elle avait été affectée par le départ en province de sa meilleure amie et puis par un jeune homme qui avait profité de ses sentiments et elle avait cru aimer et être aimée pour la première fois. Lui-même l'avait encouragée à trouver quelqu'un d'autre et lorsqu'elle m'a rencontré et qu'elle lui a dit que je lui plaisais, il avait vainement tenté de revenir vers elle. Plus tard, elle m'a dit qu'elle avait cru être amoureuse pour la première fois avec lui mais que depuis qu'elle m'aimait, elle savait ce que c'était d'aimer et que ce n'était pas alors le cas.), je lis l'unique poème, d'Albert Pesse:

"Embrasse-moi

Avant qu'il ne soit trop tard

l'amour tue tu le sais bien

Les amants

Pas les deux

L'un des deux

Le plus aimé

Le mal-aimé

Que l'amour vide de son sang

Il meurt et l'autre

Vit pour le regretter

Embrasse-moi

N'attends pas

Chaque seconde passée

À lier nos lèvres dans un baiser

Est un instant d'éternité

Volé au temps de vie qui nous est accordé"

J'étais le plus aimé, j'étais le mal aimeur. Un, le dernier baiser juste avant le bain de sang.

 

Samedi 9 novembre 2002, 11760e journée.

Quelle déchirure! J'ai lu des courriers que m'avait écrit Ghislaine. Comment vais-je survivre? ... à tant d'amour, dans tant de haine ou indifférence, ou solitude. Par curiosité de moi-même dans ce monde. L'étonnement d'être ce que je suis, de vivre ce que je vis, d'apprendre ce que j'apprends, de créer ce que je crée, de rencontrer qui je rencontre. Ça va mieux.

 

Dimanche 10 novembre 2002, 11761e journée.

Je n'ai jamais observé autour de moi un autre amour aussi grand et bon.

 

Jeudi 21 novembre 2002, 11772e journée.

Parfois, je suis un sac de larmes prêt à éclater si on le bouscule.

 

Samedi 7 décembre 2002, 11788e journée.

Sous la pluie dans le van, après avoir traversé la frontière germano-danoise, nous mangions une salade dans le même grand saladier. Nous mangions beaucoup de maïs lors de nos premiers voyages.

 

Lundi 9 décembre 2002, 11790e journée.

Je ne sais pas si je suis faible; je ne sais pas si je suis fort; je sais que je suis couvert de cicatrices.

 

Mercredi 11 décembre 2002, 11792e journée.

Je me souviens d'une ruelle surélevée au-dessus de la place centrale d'une petite ville suédoise, où passaient des bus. Ce soir-là, avant que nous y dormions, j'y ai photographié la vitrine d'un coiffeur.

 

Vendredi 13 décembre 2002, 11794e journée.

J'ai un monde en moi, un petit monde, une bulle qui s'est refermée avec sa mort, 4 ans d'une bulle qui avait gonflée.

 

Mardi 17 décembre 2002, 11798e journée.

Aujourd'hui une amie de Ghislaine, qui fut sa collègue, est venue me rencontrer. Elle est en congé maladie suite au harcèlement de sa chef. J'en retiens qu'elle m'a dit que Ghislaine apparaissait comme "une petite chose futile", lorsqu'on ne la connaissait pas.

En fait elle se demandait si elle s'était suicidée. Elle m'en voulait, ainsi que les collègues de Ghislaine, pour le mal que je lui ai fait.

 

Un jeu consiste à demander ce qu'on aimerait changer chez son conjoint. Moi, ce serait sa date de décès.

 

Jeudi 19 décembre 2002, 11800e journée.

Alors que le fameux message parlait de trouver un "begy numéro 2", j'en suis réduit à trouver une Ghislaine numéro 2.

 

Mercredi 1er janvier 2003, 11813e journée.

C'est pire que si on m'avait arraché un bras et une jambe. On m'a pris une partie de mon âme, une partie de l'âme du monde, de la bonté en ce monde.

 

Dimanche 5 janvier 2003, 11817e journée.

La sœur de Ghislaine me raconte qu'à Noël, un reportage télévisé lui a rappelé que Ghislaine avait une poupée noire déglinguée avec laquelle elle aimait jouer; mais que devenant adolescente, ça ne faisait pas bien de jouer à la poupée. Elle disait qu'elle ne le faisait plus, mais lorsqu'elle était dans sa chambre au bout du lit et qu'elle tapait le montant du lit avec son pied, on savait dans la salle qu'elle jouait avec.

Valérie m'a aussi dit qu'elles s'étaient perdues de vue, en se voyant une ou deux fois par an, et qu'elles se voyaient plus depuis que nous étions ensemble.

Elle préfère quotidiennement éviter de parler de Ghislaine; elle souffre moins ainsi. Elle est à l'opposé de moi, car elle n'avait pas de vie quotidienne avec Ghislaine.

 

Samedi 11 janvier 2003, 11823e journée.

Envieuse de la boîte de crottes de nez que je remplissais peu à peu, elle regrettait de ne pas avoir commencé avec moi.

Elle était fière qu'un beau jeune homme au rayon photo d'un grand magasin, alors qu'elle m'enlaçait, me dise: "Elle est mignonne, ta copine." A-t-il ajouté: "Garde-la"?

Tant de garçons dans la rue la trouvaient mignonne.

"Ta perle rare", t'avait plus ou moins ironiquement surnommé une ancienne amie, dont la mère nous avait vu à vélo avenue de l'Opéra, Ghislaine sur un petit vélo bleu que je lui avais prêté, derrière moi "comme un petit chien" selon la mère, telle la fille (perfide)... La fille, comme moi (ce qui m'avait amusé), trouvait que Ghislaine, avec ses cheveux courts lorsque je l'ai rencontrée, ressemblait à ma mère, ce qui me déplaisait.

 

Lorsque je pense à la deuxième femme dont je me sis senti le plus proche après Ghislaine, et à quel point elle est éloignée de moi, je pense que le calvaire sera long.

Son denier cri résonne à mes oreilles.

 

Dimanche 12 janvier 2003, 11824e journée.

Difficile de trouver la gentillesse, l'intelligence, la beauté et l'humour réunis dans une fleur qui n'attend qu'un rayon de Soleil pour être éclose.

 

Lundi 13 janvier 2003, 11825e journée.

"Frédéric": tu avais ainsi nommé un bébé cocker beige au magasin la Samaritaine, et qui se faisait brimer, tirer ses grandes oreilles en pleurnichant.

"Rodolphe": tu avais ainsi nommé un bébé bouvier bernois au magasin Petland des Halles, alors que c'était une femelle, qu'on a pu voir s'amuser toute agitée et se calmer dans nos bras. Sachant que c'était une femelle, Ghislaine a voulu continuer à l'appeler ainsi.

 

Vendredi 17 janvier 2003.

L'année dernière, il y a 6,3% de tués en moins sur les routes françaises par rapport à l'année précédente, mais il y avait eu une augmentation de la mortalité la première moitié où tu es morte. Élections, politique, irresponsables.

 

La dispute de Ghislaine et de sa mère qui n'admettait pas qu'on dise "bébé chien". Puis j'ai vérifié dans le dictionnaire. Ghislaine m'a dit... ce n'est pas la peine...

 

Mercredi 22 janvier 2003, 11834e journée.

Je comprends mieux seulement aujourd'hui pourquoi une de ses grandes lectures de jeunesse a été celle de la série des Rougon-Macquart, d'Émile Zola. Elle, dans le déterminisme de sa famille ouvrière, dans sa morne adolescence, et son âme et son esprit qui s'envolaient. Son père, ouvrier à la fromagerie, ne tolérait pas qu'elle lise; pour lui c'était de l'inactivité, de la fainéantise, et il lui disait d'aller plutôt aider sa mère.

 

Après la bigarrée ville d'Elvas au Portugal, la soirée puis la matinée dans la très pluvieuse Vila Viçosa. Une très petite promenade le soir sur la grande place baroque sous les lampadaires, sans trop s'éloigner du van, puis le lendemain avec le vent qui tordait les parapluies.

 

Jeudi 23 janvier 2003, 11835e journée.

Lorsque dans un parc à la sortie de Stockholm, nous nous arrêtions pour déjeuner, cette policière qui est venue à ma fenêtre nous dire qu'il était interdit de s'arrêter ici.

 

Elle est morte avec mon sperme dans le vagin, des oxyures dans le rectum.

 

Cette petite église en bois sur une colline danoise, à la fin du jour, aux fenêtres aux verres épais et déformants dans la pénombre.

 

Quel intérêt, ces anecdotes?

 

Vendredi 24 janvier 2003, 11836e journée.

Je viens de rêver que j'attends Ghislaine qui recommence à travailler à l'hôpital. À une pause, elle me rejoint dans la salle où je l'attends. Elle me dit qu'elle en a marre, qu'elle a eu du mal à avoir cette deuxième pause à force d'insister. Je lui dis qu'elle va bientôt arrêter, que nous allons faire le tour de la Terre. Elle fera des gardes d'enfants.

 

Au début de notre relation, .elle gardait certains soirs, dans un appartement sur le canal Saint-Martin, les enfants d'une femme qui travaillait dans la mode vestimentaire, et don les noms étaient Tom-Luck, Léa-Pop et Nina-Sun. La mère pouvait rentrer très tard et bruyamment, ce qui réveillait Ghislaine qui allait directement travailler à la halte-garderie le lendemain. La mère, comme beaucoup de personnes, avait tendance abuser de la gentillesse de Ghislaine, alors que faire la vaisselle par exemple ne faisait pas partie de sa fonction. Ghislaine a arrêté vers note voyage en Scandinavie, en grande partie pour être plus avec moi.

 

Sur cette route roumaine près du Danube où les villages s'allongeaient et la vie sociale se déroulait, humains et bêtes comme autant d'obstacles à la circulation, nous nous étions arrêtés le soir pour dormir près d'une église,  et la police nous a obligés à traverser la route pour nous garer sous la lumière d'un bistrot.

 

Sur le port de plaisance du Pirée où nous nous appétions à passer la nuit, une chienne noire promenée par son maître s'intéressait à Buggy que nous avions mis sur le muret de la promenade. Elle montait plusieurs fois ses pattes avant sur le muret, et Buggy, peut-être un peu par peur, avait commencé à pisser.

 

À Taranto, j'avais en fin d'après-midi photographié un groupe d'enfants, dont une fille particulièrement belle, sous le regard étonnamment bienveillant de Ghislaine.

 

Mercredi 29 janvier 2003,

Sa façon de réclamer des bisous, en faisant un smack dans le vide juste en face de moi, en se mettant sur la ointe des pieds, parfois en regardant sur le côté, à sa gauche je crois.

 

Ce plateau en plastique orange, qui me suit depuis des années, auquel il manque un coin depuis notre premier grand voyage à l'étranger, lorsque sur une autoroute allemande, après que nous ayons mangé en roulant, elle a voulu se débarrasser des miettes par la fenêtre. Le vent l'a arraché de sa main et nous avons dû faire marche arrière sur la bande d'arrêt d'urgence pour le retrouver. J'aurais été triste de le perdre. Déjà cela me faisait quelque chose d'en perdre un coin. Mais cette mésaventure nous amusait. Sur cette autoroute à la dense circulation, j'avais remarqué une ou deux camionnettes (Volkswagen Combi, Mercedes 607) de voyageurs qui roulèrent longtemps dans notre parage, et à droite dans la campagne une petite église.

Deux ans plus tard en Hollande ou Belgique, nous achetions deux plateaux métalliques imbriqués l'un dans l'autre, aux hauts bords très relevés à angle droit, qui s'avérèrent très commodes.

En Irlande, sous le vent et la bruine, un voyageur solitaire allemand en Mercedes 607, s'était installé sur le promontoire rocailleux pour jouer du pipeau en face de la mer, dans une communion avec la nature qui nous avait amusés.

 

Plus le deuil durera, plus je l'aurais aimé: je dois sortir de cet écueil d'orgueil.

Journal d'un deuil.

 

Mardi 4 février 2003.

J'ai rêvé que des miettes de pain sont rassemblés sur le rebord de ma fenêtre gauche. Des pigeon viennent nombreux. Je suis content car ils sont rares sur la verrière, contrairement aux toits de Ghislaine. Puis de la droite vient n très jeune, mais grand, c'est plutôt un pingouin, avec des poils longs et fins sur la tête. J'appelle Ghislaine pour qu'elle vienne vite le voir.

 

Samedi 8 février 2003.

Sur une petite route danoise, nous nous étions arrêtés faire l'amour. Nous n'avions pas bien fermés les rideaux et n'étions pas bien cachés et nous avions très chaud. Alors, nous sommes allés dans un jardin privé. En levrette, les moustiques nous assaillaient. Je n'arrêtais pas de les empêcher de piquer Ghislaine, plus difficilement moi-même. Finalement, nous sommes retournés dans le van.

 

Mardi 11 février 2003.

Ce soir, à la télévision, "Beau travail" de Claire Denis, dont je ne vois presque rien. Malheureusement, il y a deux trois ans, nous étions par erreur arrivés par erreur dans la salle où se finissait une séance du film. De plus en plus, je vois passer à la télévision des films que nous voyons au cinéma lorsque nous avions durant un an notre carte d'accès illimité.

 

Jeudi 13 février 2003.

Midi. Première apparition du Soleil chez moi. Dans un mois, ça fera un an.

 

Dimanche 16 février 2003.

Presqu'un mois durant, j'étais resté sans désir sexuel, car sans angoisse. Ça ne m'était jamais arrivé depuis mon premier orgasme. J'en étais agréablement surpris, mais Ghislaine n'était pas de cet avis...

 

mercredi 19 février 2003.

Cette étrange maison sur hauts pilotis en béton, que nous avons vu deux fois dans les Alpes en allant en Suisse. Je m'étais arrêté une fois et ai pris des photos autour. Plusieurs mois après, nous avons vu ensemble au cinéma cette maison comme un des décors principaux d'un thriller.

 

Ajouter de la souffrance en ayant des enfants. J'aime trop mes enfants pour en avoir.

 

vendredi 21 février 2003.

Les quais pavés de Liverpool dans un film à la télévision. Liverpool où nous avions vu un camion de la fourrière avec des chiens dans des cases. Nous parlions de l'éventualité de les libérer...

 

Dimanche 23 février 2003.

C'est la première fois qu'avant de dormir, je demande qu'on me gratte une partie du dos, et, je m'en souviens pour la première fois, comme avant, la zone de démangeaison s'étend au fur et à mesure et je demande un élargissement du grattage.

 

Mercredi 26 février 2003.

Un an après, (l'émotion de) voir les mêmes promotions sur le catalogue dernier catalogue de promotions d'un hypermarché Auchan, où nous étions allés.

 

Jeudi 6 mars 2003.

Une fois où j'avais amené Ghislaine déjeuner avec moi aux Restos du Cœur près de Bastille, nous étions assis près d'un beau jeune homme, sosie de l'acteur Johnny Depp. Il avait les yeux dans le vague, se balançait sur sa chaise et bavait sur sa cuillère en mangeant longuement son yaourt, comme paralysé. Nous étions impressionnés, et amusés, entre le rire et la tristesse.

 

En revenant de chez ses parents en Normandie, il y a deux ans, nous sommes passé voir les paysages inondés de la Picardie, en nous amusant à répéter que nous allions voir, selon la formule maintes fois répétée par les médias, les "sinistrés.

 

Samedi 8 mars 2003.

Des hauteurs du château de Lisbonne, nous nous étions amusés à observer un homme qui se masturbait sur une terrasse, debout et qui étrangement, rentrait et sortait souvent dans le logement.

 

Dimanche 9 mars 2003.

Broyé par une solitude; je suis.

 

Mardi 11 mars 2003.

Comme nous le faisions sur les autres sites archéologiques, je suis passé par des brouillasses, fort épineuses cette fois, afin de pénétrer dans l'antique Corinthe, et Ghislaine ne m'a pas suivi, peut-être rebutée par la difficulté. En entrant, j'ai récupéré une paire d'espadrilles bleues, j'ai visité, photographié, puis je l'ai étonnamment retrouvée allongée sur un banc du site, boudeuse, très fâchée et que je l'ai laissée seule.

 

Mercredi 12 mars 2003.

L'émotion qu'elle me disait avoir, chaque fois qu'elle me revoyait.

 

Jeudi 13 mars 2003.

Premier anniversaire. Un film bâclé sur le parcours que j'avais fait à vélo il y a un an, jusqu'au lieu où j'ai appris.

 

Mercredi 9 avril 2003.

Alors que je l'attendais sur le parking d'un magasin d'où nous partions, elle avait acheté (ou volé?) un gadget pendentif qu'elle a accroché au rétroviseur intérieur. C'était une tête à la chevelure orange élastique et au nez en forme de phallus qui surmontait deux seins. Deux ans après, nous constatâmes la disparition du visage, attribuée à Buggy. Il ne reste plus que cette chevelure désélastiquée par le Soleil.

 

Vendredi 25 avril 2003, 11927e journée.

La Lune, qui tourne sur elle-même en autant de temps qu'elle tourne autour de la Terre, régule les mouvements de la Terre qui, sans elle, seraient perturbés par la gravitation des autres astres, lointains. Sans la Lune la vie ne se serait pas ainsi développée sur Terre. Je suis comme la Terre sans la Lune.

 

Mardi 29 avril 2003.

Ce matin, j'allais déjeuner chez ma mère et, près de la porte d'Asnières, j'allais traverser le boulevard Malesherbes afin de déposer des livres à  la bibliothèque, lorsque j'entendis puis vis un taxi percuter l'arrière d'une moto. La passagère resta à terre. J'appelais le Samu qui me fit attendre Je regrettais de ne pas avoir appelé les pompiers alors que ce sont eux seuls qui arrivèrent, longtemps après la police. Le conducteur de la moto s'était tout de suite relevé. D'abord choqué, il ne pleura que plus tard. A la fin, après plus d'une demi-heure, lorsque je suis revenu de la bibliothèque, j'ai été étonné de voir qu'on sortait d'un des camions un homme sur un brancard. Une femme disait que c'était le conducteur qui s'était évanoui. Je me demandais à qui je pouvais raconter ce qui était advenu un an auparavant près d'ici. Je pus le faire auprès d'une jeune fille en rollers qui transportait de la nourriture pour chat dans un grand bac en plastique.

En rentrant, près de chez moi, il venait d'y avoir un accident, deux voitures s'étant percutées avenue de l'Opéra.

 

Lundi 5 mai 2003.

J'ai rêvé qu'à la frontière autrichienne, je suis un peu inquiet et le douanier nous fait signe de passer, puis lorsque je suis arrêté il vient me voir pour le cabochon arrière droit cassé, me dit en anglais que je peux aller le changer dans la plus proche ville française, Colmar je crois. Je lui demande s'il n'y a pas une autre ville comparable pas loin en Autriche. Il me dit que oui. Ça m'évitera de repasser à la douane en prouvant que j'ai acheté cabochon. Je vois qu'il y a de quoi gonfler les pneus, près d'aspirateurs et de jeunes qui jouent avec les tuyaux. Je pends bêtement un tuyau vert d'aspirateur. En revenant au van je vois la porte coulissante ouverte. Ghislaine dormant, elle laissait n'importe qui ouvrir et fouiller. Puis derrière je la vois qui a fini des paquets de gâteaux Finger sans m'en laisser. Elle rigole. S'est-elle fait vomir en cachette? Je découvre avec étonnement qu'elle a de longs poils sur le flanc. Se les épile-t-elle habituellement en cachette? Il faut que je me gare pour gonfler les pneus, en ramenant le tuyau sans donner l'impression que je le vole.

 

Vendredi 16 mai 2003.

Toutes ces nuits ensemble (dans tant de lieux différents) dont il ne reste qu'une bouillie de souvenirs.  Comment s'était-elle habillée chaque matin de nos voyages?

 

Dimanche 13 juillet 2003, 12006e journée.

C'est dur la vie, mais c'est mou face à un camion.

 

Mercredi 16 juillet 2003

Pourquoi aujourd'hui cette tendance aux larmes? Et pourquoi aujourd'hui avoir parcouru le trajet jusqu'à chez Ghislaine? Le code de la porte n'a pas changé.

 

Mardi 23 décembre 2003.

Je viens de dormir à Alcaraz, où avec Ghislaine j'étais passé un soir au retour du Maroc il y a cinq ans. Je me rappelais la colline rougissante de soleil couchant que l'on traversait à travers les collines transversales. Hier je tenais à arriver avant le soleil couchant. Et hier je suis passé à Alarcón, autre beau village où nous avions dormi il y a 3 ans, et où nous avions nourri ces deux chiens.

Au téléphone, hier soir, ma mère m'a raconté, après avoir dit que peut-être elle ne devrait pas, ce que lui a dit un voisin. Vous savez l'horreur? Une jeune fille de 20 ans, qui avait le même métier que Ghislaine en tant que stagiaire depuis quatre jours au jardin d'enfants à coté de chez ma mère a traversé le boulevard sans bien faire attention pour aller téléphoner et une voiture conduite par une femme de 70 ans qui roulait à 30-40 km/h l'a percutée. Sa tête a heurté le trottoir et elle est morte. Comme c'était sur le passage piéton, la conductrice est responsable. On a mis des barrières pour que les enfants ne voient pas. Ma mère m'a dit qu'heureusement elle n'était pas là. Elle a téléphoné aux parents de Ghislaine, absents, et leur a laissé le message qu'elle pensait bien à eux.

 

 

Mercredi 21 janvier 2004, 12198e journée.

Je n'oublierai pas que Jean-Claude Gayssot, ministre des Transports de 1997 à 2002, a réaffecté un budget destiné à la prévention routière pour renflouer les caisses d'une compagnie aérienne qu'il avait confiée à la gestion calamiteuse d'un ami syndicaliste. Comme son Premier ministre Lionel Jospin (pour qui j'ai voté en 1995 et 1997, et pour qui j'aurais voté en 2002 contre Jacques Chirac), il devait penser que la priorité était la lutte contre le chômage. Avec de telles idées, on préfère laisser travailler des ouvriers dans l'amiante, et on préfère vendre des armes à n'importe qui plutôt que de fermer une usine d'armement. Quelle idiotie de placer le travail au-dessus de la vie! Jospin dira avoir naïvement cru que la lutte contre le chômage suffirait à lutter contre l'insécurité.

 

Vendredi 7 mai 2004, 12305e journée.

Un long rêve sur Ghislaine, où elle est vivante. Parce que je viens de dépasser son âge ces jours-ci. Je me suis réveillé plus tôt que d'habitude. D'habitude je ne me souviens plus de mes rêves, et je le comprends. C'est presque tant mieux. Elle est si vivante, si elle dans mes rêves que le réveil est pénible.

Je reviens d'un long voyage à Paris. C'est un mardi soir. Je suis à vélo dans une longue rue étroite à sens unique. Je vois de la lumière au premier étage, à sa fenêtre. Je ne parviens as à la joindre au téléphone.  Puis j'arrive un peu plus loin chez moi, ou dans le restaurant de ma tante de Bordeaux. Je dois m'en occuper car elle part en voyage demain. Je dois l'ouvrir le soir vers 20h15. Le lendemain, je parviens à joindre Ghislaine. Je n'étais même pas sûre qu'elle était vivante. Je lui dis. Elle est froide avec moi. Elle travaille à la gare. Pendant que je lui parle, j'y vais en vélo. J'arrive et en entrant je m'aperçois que le mégaphone est branché et tout le monde l'entend. Je lui dis, regrettant de dire un "Ghislaine" qui permet de la reconnaître. (Je n'ouvre pas le restaurant qui restera fermé ce soir. ma tante m'appellera comme me l'a dit. Que dirai-je?) Je vois une piscine olympique avec un bassin de 50 m puis à gauche un bassin de 25 m. Ghislaine est dans les cabines de bain. Je vais ans celle es femmes. Elle prend peur lorsqu'elle voit entrer quelqu'un. Je verrouille la porte. Elle s'est levée, nue. Je mets directement ma main sur sa vulve épilée. Elle est déjà mouillée. Elle a toujours vite réagi. Elle semble résister au départ comme elle l'a fait parfois, alors qu'elle est excitée et va se laisser bientôt aller.

 

Mardi 8 juin 2004, 12337e journée.

Ce soir, cette pomme de pin dans un bocal, dans un dancing de tango à Varsovie, me fait penser à cet amour de Ghislaine pour tous ces branchages, ces végétaux, qu'elle mettait derrière le pare-brise du van. Cette élégance féminine que je vois autour de moi, jupes légères, roses ou orange, chaussures aux hauts talons, qu'elle aurait aimé cette sensualité

 

Mercredi 16 juin 2004, 12345e journée.

J'aimais son cœur mis à nu. Tant d'autres sont habillés, blindés.

 

samedi 31 mars 2012

Déprimé par une rupture amoureuse, ce matin, je rêvasse que je devrais contacter Ghislaine, comme si elle s'était fâchée avec moi il y a une décennie. Je pense joindre ses parents afin de savoir comment le contacter puis je me souviens qu'elle est morte.

 

samedi 26 avril 2020

 

 

mercredi 6 mai 2020

Remarquons que le message exprime en peu de mots beaucoup d'affects très forts: amour exclusif, jalousie, désir, espoir d'un grand voyage ensemble et de retrouver une autre relation affective forte avec un animal de compagnie : nous avions fait de grands voyages, dont celui de l'été 2001, notre dernier, trois mois  en van de Paris à Tallin puis, à Istanbul et en Grèce, et qui fut la période la plus heureuse de ma vie, et je crois de la sienne, avec ce chiot que nous avions sauvé sur une route bulgare, qui nous a apporté beaucoup de joie, que nous avons ramené avant de le donner en Normandie à une famille qui ne nous a pas laissé de nouvelles, ce qui nous a attristés.

Une piste de compréhension est que cette énergie affective soit entrée en résonance, une perspective à explorer en regardant deux films de fiction : Fréquence interdite (où intervient le physicien quantique Brian Greene) et Interstellar (initié par le physicien Kip Thorne).

Il faut penser qu'une énergie est perceptible longtemps après son émission, et cela d'autant plus que nous pouvons un dispositif technique amplificateur (comme un télescope).

Je n'exclus pas une intervention intentionnelle de personnes plus évoluées (je crois que ce qu'on appelle des anges-gardiens sont des extraterriens aux techniques beaucoup plus avancées que les humaines.

 

Bernard Émond: gratitude et engagement

https://www.lapresse.ca/arts/livres/entrevues/201701/12/01-5058897-bernard-emond-gratitude-et-engagement.php

Marc Bernard, La mort de la bien-aimée

«Il a écrit des choses magnifiques sur le deuil. Quand sa bien-aimée meurt, il est complètement dévasté, mais il lui reste un sentiment de gratitude de l'avoir connue, de l'avoir aimée. Je trouve ça tellement beau. Pour moi c'est la plus belle attitude face à la vie. On connaît des malheurs, des bonheurs, mais on est en vie! C'est idée de la gratitude qui est très importante pour moi.»

 

« Je me demande combien d’êtres passent méconnus, que certaines de leurs qualités – pudeur, discrétion, désintéressement, humilité, manque de confiance – laissent ou ont laissés dans l’obscurité. Diamants qu’aucun hasard n’a fait paraître au jour[2]. »

https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/gratitude/

Ces qualités (et défaut) sont tellement Ghislaine.