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Chapitre XV

 

 

Mercredi 27 mars 2002.

Chez elle, je retrouve un petit fascicule illustré sur "les 20 meilleures positions de l'amour", qu'elle avait arraché (il y a deux ans?) à un magazine dans un supermarché de Château-Landon, chez ma tante. D'après la date de parution, c'était il y a plus de trois ans, pendant l'hiver.

Un atlas imprimé à moitié en caractères grecs, que tu avais volé à une boutique près du pont sur le golfe de Corinthe.

"Tendres baisers", un recueil carré de photos, que tu avais tardé à m'offrir au début de notre relation, et dédicacé:

                     A mon nounours

                     J'veux des bisous

                     Des tas d'bisous

                     J'en veux des tas

                     Des tas, des tas...

                     Rien qu'avec toi

                                                                     Gi (avec un cœur dessiné à droite)

Elle m'avait offert en même temps, après l'avoir aussi gardé longtemps "Devine combien je t'aime", le livre illustré avec deux lapins.

Une carte postale d'un bistro de Salzbourg, que nous avions trouvée dehors.

Je déplie un plan aérien de Paris indiquant ses bibliothèques municipales. Je vois près du bord supérieur le lieu de ton accident, près de la bibliothèque Edmond Rostand.

Je trouve un brouillon de lettre à Steeve, le fils de sa tante "voyante", étonnée d'avoir un si jeune admirateur de ses poèmes dans sa propre famille.

Un des gants que j'avais transformé en mitaines pour pouvoir lire dans ton appartement qui n'était pas chauffé cet hiver comme le précédent.

Je pense au Havre, à la zone portuaire misérable où j'avais photographié des pans de murs en béton troués et des petits enfants noirs.

Je vois à la télévision mâcher une de ses vaches écossaises à longs poils et cornes. Elles avaient tant amusé Ghislaine, celles au milieu de la route, lorsque j'avais voulu nourrir un veau et qu'un adulte dominant s'apprêtait à m'agresser.

Combien aurait été pénible la vie en approchant de la date de sa mort, si nous l'avions connue. Et combien semblent dérisoires certains faits, en l'ayant ignorée.

Je me souviens, lors de notre premier voyage, en Scandinavie, elle portait un haut de survêtement bleu sombre à capuche, un pantalon en jean bleu et des chaussures de spot blanches, je la surnommais Eckel ou Jeckel, du nom de deux corbeaux noirs à chaussures blanches dans des dessins animés de notre enfance. Toute petite avec ses chaussures inhabituellement sans talons hauts, je la surnommais aussi le troll, surtout dans ces contrées scandinaves. Lors des voyages suivants, elle s'efforçait de mieux s'habiller afin de m'être plaisante et d'éviter mes plaisanteries.

Je me souviens, à Pérouse, où nous avions joliment dormi sur les hauteurs de la ville, j'avais fait des photos à l'aube en sandalettes près du van, pendant que tu étais encore couchée, et la froidure sur mes pieds dénudés m'avait rendu malade pour la plupart du voyage.