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Chapitre XIV

 

 

Mardi 26 mars 2002.

Treize jours après l'accident, je prends exactement le même itinéraire depuis chez elle jusqu'à sa destination fatale. Sur le lieu de l'accident, aucune trace, comme si rien ne s'était passé.

À la bibliothèque Edmond Rostand, où je viens de rendre des documents, le magazine "La Vie" affiche sur sa couverture: "NON à l'amnistie des chauffards", je signe une pétition trouvée dedans et écris: "mon amie Ghislaine Bosquet, tuée le 13 mars 2002 à Paris 17e par un camionneur qui n'avait pas le droit d'utiliser son camion pour aller voir un ami, qui a pris le couloir de bus et fait un délit de fuite", et j'ajoute au-dessus: "Pour le droit des familles de mettre une stèle sur chaque lieu d'accident".

Sur une photographie d'un catalogue publicitaire, je reconnais sur une photo les trois colonnes d'un temple (d'Athéna?) dans la partie inférieure de Delphes. Cette partie était gratuite et nous sommes entrés dans la partie supérieure payante, comme dans la plupart des sites antiques en Grèce l'été dernier, en escaladant à travers les fils barbelés, en poussant un tronc d'arbre et en suivant un sentier broussailleux. La veille au soir, nous nourrissions une ribambelle de chats mendiants et nous faisions connaissance avec un gros chien pataud, lorsque la radio devenait de moins en moins brouillée dans l'inactivité nocturne des ondes, et nous avons appris avec ahurissement l'improbable destruction des tours new-yorkaises. Le lendemain, j'ai recopié l'inscription décidée par le maire mégalomane de Delphes:

                     delphi

                     the navel of the earth

                     the world heritage

                     every intellectual human being of

                     free will deserves to be regarded

                     as "citizen" of the town of delphi.

Souvent, j'ai l'impression, surtout lorsque je suis seul à faire quelque chose de plus ou moins honteux, que tu me vois.