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Chapitre VIII

 

 

Mercredi 20 mars 2002.

7h. Je m'éveille encore plus tôt (vers 4h? je vois floue l'heure verte du four) et écoute France Culture somnolant.

Je pense à la fois, il y a deux ans et demi, à Florence, où elle a défendu mon intérêt comme une tigresse. J'avais acheté six mois auparavant un appareil photo Canon EOS 1 d'occasion à un prix bas (800000 lires, 2800 F), mais il ne fonctionnait pas pour les poses brèves. Comme l'obturateur s'ouvrait pour les poses longues, je ne m'en étais pas aperçu, et j'avais fait un millier de photos noir et blanc carrées en Belgique, Allemagne, Pologne, Tchéquie, Grande-Bretagne, Irlande, avant de les développer transparentes, dans une fort pénible expérience, ou non-expérience photographique. Dans la boutique, j'étais prêt à ce qu'ils réparent l'appareil, mais cela nous obligeait à repasser par Florence à notre retour du sud, et d'autre part, j'aurais dorénavant des craintes sur un appareil réparé très loin de chez moi. Elle a insisté pour me faire rembourser avec une véhémence qui m'a étonné, et y est parvenue auprès du vendeur gentil qui nous comprenait en anglais, peut-être même un peu en français, malgré ses réticences par rapport à la comptabilité fiscale. Après avoir exposé le cas à un responsable et demandé l'autorisation, il nous a donnés les 8 billets de 100.000. J'ai dit à Ghislaine qu'elle m'a étonné. Elle m'a souvent dit qu'elle pouvait plus pour moi. C'est parce que j'étais méchant qu'elle ne l'a pas fait. Elle s'apprêtait à contacter une ou deux galeries pour mes photos. Je ne sais malheureusement pas lesquelles. Mais à cause du problème de téléphone, de mes réticences et des problèmes relationnels, elle n'est pas parvenue à prendre des rendez-vous. Je crois qu'une fois elle est juste tombée sur un ou deux répondeurs.

Diarrhée. Quel intérêt à ce que je marque cela? Juste ou surtout l'interrogation qui suit... Je pense souvent que ce que j'écris n'a guère d'intérêt pour la publication indépendamment du reste de ce que je crée. Il s'agit d'un énième texte sans intérêt littéraire mais uniquement affectif pour son auteur, tel qu'en reçoivent quotidiennement les éditeurs.

Prague, où je suis allé des les deux fois sans elle. Elle désirait y aller. La Tchéquie est le seul pays où je suis allé sans elle avec le van.

Je téléphone à ma tante par assurance.

Je prends comme pellicules photos celles que j'ai marquées X à Berlin, à cause des contrôles aux rayons X pour les quatre visites au Reichstag, avec Ghislaine sauf une fois, lorsqu'elle boudait un soir, sans doute en pensant à Isabelle T..

Je dis seul dans la pièce: "Ghislaine! Ghislaine! Je vais faire du mieux en pensant à toi.".

"J'en ai marre, j'en ai marre que tu ne puisses pas me répondre."

Avec le vent contre moi, l'enveloppe plastique transparente de ta fleur se colle à mes lèvres.

Je pense à Buggy, lorsque nous nous étions arrêtés pour le faire uriner en allant chez tes parents. Et surtout avant, lorsque sur tes genoux il regardait vers la Seine. J'ai dit: "C'est la dernière fois qu'il voit Paris." et tu as pleuré très fort. Je t'ai tenu la main en conduisant.

Je rejoins ma tante et on nous indique la chapelle où sera exposé ton cercueil. L'employé m'interroge sur la rose blanche. Il y a la possibilité de la mettre dans ou sur le cercueil. Depuis la salle d'attente, je téléphone au père qui interroge Thérèse. À part s'il y a un endroit sur le cercueil pour la poser, il la préfère à l'intérieur. Il me parle de la nécessité de venir me chercher à Saint-Lô si le camion prend d'autres employés en arrivant.

Je vois quatre taches de sang sur une table basse blanche.

Je fais deux photos par la fenêtre au-dessus.

Yves, dans le quartier, m'appelle pour m'interroger sur les modalités de parking.

Ma tante assise sur l'un des sièges bleus, je fais les cent pas. Elle dit qu'elle aurait dû apporter un catalogue pour lire en attendant: ici, ce n'est pas comme chez le médecin, il n'y a rien.

Je désire pisser et remplir ma bouteille d'eau.

Je sors sous la pluie légère. Dans le couloir des gens pleurent et se serrent.

Certains passent devant la salle d'attente. Quelques regards échangés.

Yves arrive. Je le présente à ma tante qui travaillait à la Marine nationale comme lui. Ils en parlent un peu? Elle est à la retraite depuis sept ans. Il a un bureau à Paris, un autre à Brest (je l'ignorais).

On nous amène près du cercueil. Agréable surprise, il est ouvert. Son visage est entouré d'un linceul blanc. Elle a un gros hématome à droite de l'œil, de la tempe à la joue, un petit trou rouge au front, une coupure à la lèvre. Une canine semble dépasser. Un employé à petite moustache que j'avais vu la première fois place la fleur, propose de la mettre sans l'enveloppe plastique transparente, déplie et replie la couverture.

Le maître de cérémonie demande à ma tante si c'est madame Bosquet. Je dis que je suis l'ami de Ghislaine. Il est sympathique. On demande à qui est l'Audi. Yves dit sortir la regarer à la place d'une autre voiture, ce qu'il fait assez longuement. Ma tante pleure. On dirait une vierge Je touche ton visage froid et dur, émacié. Je te fais des bisous: front, nez, lèvres. Je fais des photos frénétiquement, d'abord avec l'appareil compact que j'avais préparé, format standard, avec et sans son flash, puis avec mes appareils carrés, au 50 mm f2 1/50s pour la plupart, au 14 mm f/3,5 1/15s pour quelques unes. Toutes en noir et blanc sauf une en couleur au 50 mm f/1,8 1/40s. Yves revenu, il fait le gué pour que je sois pas dérangé. Je ne pense pas que ce soit interdit. Et quand bien même, ils ne diraient pas grand chose dans une telle situation. Je place les fleurs pour des photos au grand-angle. A un moment, je demande à Yves de remettre ses mains pour les photographier avec son visage. Il les replace de façon plus crispée, moins détendue. Je photographie les boulons aussi. Plus tard, je le vois les yeux fermés. Comme ma tante, il est chrétien. Ils ont fait tous les deux le signe de croix. Il y a un Christ crucifié sur le cercueil. Ça ne me plaît guère car ça ne respecte pas tes croyances. Il y a marqué sur la plaque au-dessus "Ghislaine Bosquet 1968-2002".

On nous laisse un quart d'heure encore. Nous parlons des atteintes sur son corps, l'hémorragie. Avec Yves, je dégage un peu son crâne pour voir s'il y a une autre blessure. je m'arrête vite. On ne voit rien. Je ne désire pas inspecter comme un entomologiste.

Je dis que j'aimerais couper une mèche de cheveux. Je demande à Yves s'il a des ciseaux. Il va les chercher dans sa voiture. Ma tante n'en trouve pas dans son sac. Il revient avec de grands ciseaux blancs. Je coupe, puis recoupe et les mets dans ma poche. Ma tante sort un papier aluminium pour les envelopper. je voudrais plus long. Yves me dit de couper franchement. Il m'aide à dégager le haut de la tête et je coupe une grosse mèche/touffe collée par du sang. Pendant qu'il réarrange ses cheveux, je range les cheveux et lui rends les ciseaux. Le maître de cérémonie vient nous parler du peu de temps que nous avons pour arriver à Pont-Hébert, demande qui vient. Nous deux. On n'aura pas le temps de s'arrêter. Nous allons aux toilettes par précaution. Je voudrais dire à Yves que ça m'a fait du bien de faire des photos.

On nous propose d'assister à la fermeture du cercueil. Nous regardons alignés contre le mur, moi à droite de ton visage. On te recouvre de ton linceul, puis on ajuste le couvercle. Deux jeunes visseurs maghrébins me regardent souvent. je me demande ce qu'ils pensent, ce qu'ils ont vu et fait. Nous n'avons pas l'air aussi ému que la famille précédente, et nous sommes beaucoup moins nombreux. Ils vissent. J'imagine que les deux trous qui restent à chaque extrémité en diagonale l'un de l'autre sont pour l'aération, laisser passer les vers. En fait, c'est pour sceller. L'employé à la moustache, dont j'imaginais qu'il allait brûler de l'encens, fait fondre de la cire avec une flamme d'allumette, et scelle avec un tampon que je voudrais voir. Yves, mieux placé, à ma demande, me dit qu'il y a marqué "Préfecture de police". Nous suivons le cercueil pris en main jusqu'au camion. On fait monter ma tante à droite. j'attends à gauche que la porte soit ouverte par le chauffeur. Je remercie Yves. Il me dit que je l'appelle quand je veux. A l'intérieur, je suis mal à l'aise avec Yves qui me regarde, et j'attends qu'on parte enfin. Je salue de la main Yves qui m'imite. Comme il l'a dit, il m'a donné une enveloppe beige qui était dans sa voiture, pour les cheveux de Ghi. Je ne sais pas s'ils sont dedans ou dans une de mes poches.

Le chauffeur parle des problèmes de délai, de repas. A force de tourner, j'ai l'impression qu'il va vers le boulevard périphérique. Je lui dis qu'il vaut mieux prendre les quais puis l'autoroute A13. Il me dit: qu'est-ce que vous croyez que je fais, monsieur? je ne lui parle plus. Il discute avec ma tante et moi j'écris. Il y en a pour 3h25 selon Michelin, qui ne compte que 7 mn pour arriver porte de Saint-Cloud. Il n'y a pas d'autre voiture pour Michelin. Il conduit depuis 28 ans 250000 km par an. Il annonce qu'il devra rouler très vite. Il faut faire attention sous la pluie, dit ma tante. C'est surtout le vent qui est gênant, rectifie-t-il. Normalement il doit s'arrêter une heure pour le repas. Ma tante dit qu'elle a un sandwich. Il est interdit de manger dans le véhicule.

10h49. Près du Louvre, je pense à appeler les parents. Thérèse me dit qu'on arrivera directement à Pont-Hébert, à l'église. J'appelle ma mère. Tu as eu le papa? Non, Thérèse. C'est sa sœur? Non, sa mère.

Nous sommes sur les quais de la Seine à Paris. Je repense à nous deux avec Buggy. C'était son dernier voyage ici. Maintenant c'est le tien.

Je crois que je vais faire quelque chose de beau de cette mort.

Je pense à une ville hollandaise il y a un an et demi. Le soir en nous promenant, nous avons vu un chat dans un bistro fermé, qui miaulait et réclamait des caresses par une petite ouverture des vitres colorées.

Nous roulons à une vitesse folle. Il n'y a pas de ceinture de sécurité à l'arrière. Je crains l'accident, l'envoûtement fatal. Ma tante et moi sommes séparés par Ghislaine couchée.

je pensais prendre des photos pendant le trajet. je n'en prends aucune.

J'aurais dû... Pascale m'appelle. je crains qu'il s'agit d'une collègue de Ghislaine. Deux ont ce prénom. Elle me demande si ça va. Ben, on est dans le convoi, sur le trajet. Je lui dis de parler fort: on est sur l'autoroute. Elle me dit que c'est Florence qui l'a avertie et je comprends alors que c'est ma sœur. Elle est gentille. Elle me propose d'appeler quand je veux, me propose de venir dîner chez eu. Je dis que je rappellerai. Je demande son numéro. Elle me passe le mobile puis celui de la maison. Je n'arrive pas bien à comprendre et à écrire. Une fausse manœuvre me fait effacer ce qu'elle me dictait sur le Psion et la conversation est hachée. Je lui propose de me rappeler sur le répondeur laisser un message. D'accord, elle me dit bisous et moi aussi.

Bientôt midi civile (11h53). j'appelle mon père mon lui dire que je viens avec le convoi et que le mieux, c'est de se retrouver devant l'église. Il est sur le parking. Voit-il l'église? Oui.

Je me demande quoi faire comme photo en relation avec Ghislaine. Deux tiges qui se rejoignent au-dessus du sarcophage du camion. Il est midi juste. Tout à l'heure ma tante m'avait dit qu'au dessus je ne pouvais pas poser mon manteau. Je le garde sur mes genoux bien qu'elle m'ait proposé de le prendre.

Photo 26: 50mm f/2,8 1/100s M 11h00.

12h08, une autre photo, au 14 mm. Ma tante est dans le champ. Elle se retourne, sans doute pour voir ce que j'ai pris.

Je viens de finir le retard d'écriture de ce matin. Je suis stressé.

Dans le rangement de portière du conducteur, je vois un aérosol désodorisant mauve. Contre les mauvaises odeurs de cadavre, pensé-je?

Sur un panneau, je vois que nous ne sommes même pas arrivés à Caen. Le temps me semble une éternité depuis notre départ, mais en réfléchissant ça ne fait qu'une heure et demie.

Je repousse mon parka qui me faisait suer la jambe gauche.

Le conducteur dépiaute un emballage de bonbon avec la bouche et jette l'emballage par la fenêtre. Pas un écologiste. Ça sent la menthe artificielle.

12h16.

Je regarde le paysage, la douce vallée verte et humide à gauche. Le vert, ta couleur préférée comme moi. Couleur de la paix, de la végétation, de la quiétude, de la tranquillité. Du silence et de l'immobilité, plutôt de la lenteur, le vent dans les feuilles.

On remonte. De charmantes maisons normandes à colombage. Il y en avait une près de chez ma mère, où je gare mon van. Il y a peu de temps, nous avons fait la connaissance de Rock (ou Rocky?), le rottweiler de six mois qui, en levant la tête, s'était collé à toi pour que tu le caresses.

Après la pluie, un premier rayon de Soleil.

"Halte péage" sur l'autoroute. Une borne de péage automatique.

Ma tante me dit: "un p'tit rayon de Soleil". je lui fais répéter en faisant: Mmh?

Combien de fois vais-je retourner dans ce coin de Normandie, chez ses parents, sur sa tombe?

Au moins, c'est un trajet que nous n'avons jamais pris, cette autoroute payante.

Des troncs d'arbre couchés à l'arrière d'un camion, fauchés comme toi, ma petite fleur... trop fragile.

"Caen 54" en blanc sur fond bleu.

Panneau attention aux passages de cerfs, ma petite biche. Il n'a pas fait attention, le salaud; l'abruti. On te disait, ma mère, moi aussi, que tu avais des yeux de biche.

Je pense aux alentours de la gare de Colombes, je me demande pourquoi. Je crois que nous nous y sommes égarés, un jour où nous revenions de Carrefour. Peut-être aussi une fois, avions-nous oublié de descendre à Asnières et nous étions-nous retrouvés à cette gare suivante.

"Mézidon-Canon"

Je vois indiqués des villes balnéaires où nous avons été heureux de nous promener à plusieurs reprises: Dives sur mer, Cabourg...

Dédicace: "A tous ceux qui ont perdu un être cher trop jeune".

Après y avoir plusieurs fois pensé et malgré ce qu'a dit ma tante hier, j'ai maintenu ma décision de ne pas me raser de près, mais de bien me tondre. Ghislaine préférait que je sois bien rasé, ce que je ne faisais plus du tout. Elle disait que je le ferais pour une autre femme, que je ne l'aimais pas. Je trouverais stupide de me raser maintenant qu'elle ne pourrait plus profiter de la douceur de mes joues. Je n'ai aucune raison de le faire sinon l'opinion des autres, et je trouverais cela lâche de ma part. J'aurais dû lui faire ce plaisir une fois récemment.

Souvent, je pense à la dernière conversation téléphonique entre Ghislaine et sa mère, un samedi (son avant-dernier je crois) en début d'après-midi. Ghislaine a parlé du procès contre SFR, mais surtout de son problème avec la dentiste vers qui je l'ai malheureusement amené. Elle lui parlait de la solidarité des dentistes entre eux, peut-être de porter plainte. Sa mère, qui ne critique pas l'action judiciaire de sa sœur contre le propriétaire de la boulangerie, était négative envers elle. Ghislaine s'est mise en colère et a raccroché soudainement. Sa mère n'avait plus appelé depuis et Ghislaine se promettait de ne pas appeler.

12h46. Le chauffeur remplit le réservoir de gazole. Il a un peu l'air abruti. Mais vivant.

Il se gare pour se reposer. Ma tante me donne un sandwich. Il est bon. Je mets du temps et j'ai du mal à le finir. Il est un peu mou. Je regarde l'arrière de ton dernier "van": un Mercedes gris, immatriculé 1218 TM 94. Je photographie l'arrière puis l'avant (Je n'ai pas pensé aux côtés). Ma tante, que je vois de l'avant, se pousse malheureusement vers la gauche. Si elle aime photographier, elle n'aime guère être photographiée, pour des raisons esthétiques. Deux routiers me regardent bizarrement en passant vers leur camion. J'hésite à aller pisser dans la boutique, je n'ose pas et puis bon j'y vais. Près des toilettes, le chauffeur utilise son téléphone mobile. Dans les toilettes, un homme est à la pissotière; Je m'enferme après hésitation dans le cabinet du fond, plus sombre. Je relève la lunette fendue devant très loin contre le mur, pisse. j'entends la soufflerie du sèche-mains. J'ai le temps de me savonner, de faire couler la puissante eau tiède et de profiter du souffle chaud avant qu'il ne cesse. Le chauffeur n'est plus là. On me regarde. il est debout près de la porte du van, du camion plutôt (mon van n'est pas un corbillard, Inch Allah). Il discute avec ma tante, m'ouvre la porte. Il en a encore pour 5 mn: "Je vais boire l'eau et fumer ma cigarette." Ma tante dit qu'il a besoin de se dégourdir, surtout à force d'appuyer sur l'accélérateur. Il était bon le pâté? Oui. c'était du pâté de porc et pruneaux. Je n'ai pas perçu de pruneau. Il revient. Ça pue la cigarette. maintenant ça va être des plus petites routes, dit-il. Ma tante est rassurée par sa conduite.

On démarre juste derrière le même(?) camion de bois qui disparaît vite à l'arrière. Aurions-nous vécu toute la vie ensemble? Je ne crois pas. Serions-nous restés amis toute la vie? je ne sais pas, je l'aurais espéré, je ne peux plus l'espérer. On contourne Caen. Ça tourne abruptement.

Il refait soleil.

Un vieil auto-stoppeur barbu; N'a-t-il pas cessé depuis les mouvements de jeunes il y a trente ans?

"Saint-Lô 56"

Je me suis dit ce matin qu'on allait être plus gentil avec moi. Jusqu'à quel point? En profiterai-je? Peu dans les deux cas je crois.

je me suis demandé si tes parents avaient pensé que je te prendrais des affaires. Un billet de 50 F froissé au fond d'un sac (je ne crois pas que je le changerai, du moins avant longtemps). Mais surtout des souvenirs.

j'appelle Info conso SFR: il restait 36 mn avant-hier à 22H20. Un nouveau mois de forfait a commencé aujourd'hui, pas pour Ghislaine.

J'interroge mon répondeur. Il y a celui de ma sœur en plus des trois d'hier que je n'ai pas fini d'écouter afin de les conserver plus longtemps.

Un petit bout de feuille vert clair que j'avais éliminé du champ de la photo des tiges tout à l'heure. Je souffle dessus, le prends avec un doigt, et le fais tomber sur le sol. Ma tante dit qu'on est bientôt arrivé.

"Saint-Lô 20"

Après avoir prévenu ma tante, je téléphone au père qui me dit qu'on va arriver directement à Saint-Lô, que les collègues à Ghislaine sont arrivées.

Je me regarde bien dans le rétroviseur, avec ma blessure sur le nez. Longtemps j'ai cru que c'était un bouton, jusqu'à ce que Ghislaine me fasse remarquer son indélébilité; j'en ignore l'origine.

Près de Saint-Lô l'aménagement de la nouvelle autoroute progresse et embellit.

J'ai les larmes aux yeux en pensant à certaines choses. Je les raconterai plus tard.

J'ai envie de dire au chauffeur: faites attention, ce sont des routes dangereuses; tracées droites, elles montent et descendent sans visibilité. Le chauffeur qui tousse colle longtemps un camping-car britannique.

"Il faut traverser Saint-Lô je crois?" Oui.

Je vois indiquée la direction de l'hôpital, le val Saint-Jean où les usurpateurs de Bugy disaient habiter. Le soir où nous sommes passés à l'adresse indiquée, nous n'avons pas trouvé le numéro. Avaient-ils menti? Où es-tu Buggy?

Saint-Lô. Le fleuriste "Lilas blanc", où tu avais acheté un pot de fleurs pour ta mère (malade?).

Le parking du marché où nous nous étions garés la dernière fois avant de donner Buggy. Je voulais abandonner et étais revenu au van. Pour réaliser la volonté de ton père, tu étais restée longtemps jusqu'à le donner au couple d'ingrats. Ils avaient un ou deux enfants, un petit chaton qu'ils venaient d'acquérir de la même façon que Buggy.

Les souvenirs ne sont que pour moi maintenant; qu'à moi.

Sortis de la ville, je mets mon manteau. Ma tante, qui n'avait pas ôté le sien, m'imite en nouant son foulard. On arrive. La fromagerie ou travaillait naguère le père. La descente vers le centre. La laide église, la foule.

Les parents absents.

Papa, Hélène, puis André. Je demande s'il y a la tante voyante. On ne me comprend pas.

Je parle à Michaël qui rentrera à Cherbourg, Val restera.

Les parents éplorés.

Ma tante questionne Val sur Louis, s'il comprend.

Val me propose d'allumer les cierges avec elle.

Des bouquets: à ma nièce à ma filleule.

triste doute révolte

Allume cierges

Chanson

Val pleure Michael serre sa main.

J'ai envie de chanter je pense à l'Allemagne.

Seigneur écoute-moi je t'espère mon dieu

Puis debout je prends une photo

Prends pitié de nous

Seigneur Jésus ressuscité d'entre les morts, prends pitié de nous il dit: tu as connu toi-même le scandale de la mort sur la croix. Ça m'étonne chaque fois qu'il dit "Ghislaine"

J'imagine faire l'amour à sa sœur.

J'étais prêt à assumer mes fautes, contrairement au chauffeur qui a fuit.

Debout Val et Michaël font le signe de croix.

Je découvre face à moi la vierge de Cestakowa où nous étions il y a sept mois.

Dieu n'est jamais du côté de ceux qui font souffrir.

Cette petite lumière, cette certitude que la mort n'est pas la fin de tout.

La mort accidentelle comme celle de Ghislaine.

Le seigneur nous invite à ne pas nous décourager

La peine de tous les proches de Ghislaine

Qu'il anime cette flamme de la foi, de l'espérance qui se tourne en solidarité, en amour

De l'orgue il est en chaussettes, ai-je remarqué

Assis debout assis Jacques a dit

Le prêtre varie les points de parole. Il en est à son troisième, au fond près de la grande table

Il prépare une hostie, il se sert un verre

Debout

Il va me falloir être patient

Qu'on croit ou pas, ça revient au même: les morts ne communiquent pas comme nous.

Pas vrai Ghislaine?

La promesse de l'immortalité nous rassure

Il prépare son gâteau, parle du pain, ceci est mon corps, et il fait une courbette comme un Japonais, la mère japonaise qui me remerciait en souriant de l'avoir emmenée au commissariat. À genoux debout

Je baille.

Souviens-toi de Ghislaine qui vient de nous quitter; puisqu'elle a été baptisée dans l'amour de ton fils... nous implorons ta bonté... avec les apôtres... ton fils Jésus-Christ bien aimé... dans l'unité du Saint-Esprit.

Je rebaille.

Il nous a invité a appeler Dieu le père

Presque tous disent donne-nous aujourd'hui notre pain... pardonne-nous nos offenses; délivre-nous du mal pour des siècles et des siècles.

Ils chantent: agneau de dieu... prends pitié de nous

Celui qui croit en moi, s'il meurt, il vivra... et les autres? punis?

Il y en a surtout des vieux, qui vont chercher leur mini-gâteau.

Nous allons nous séparer de Ghislaine, elle a souffert, elle a aimé... Jésus... son amour est plus fort que la mort.

Debout

Tu t'en vas page 270. Elle répète page 270.

J'ai le cafard.

Un pupitre en forme d'aigle doré avec un gros livre dessus.

C'est une longue chanson.

Il prend son encensoir.

Nous espérons et nous croyons que tous nous ressusciterons.

Signe de croix.

Il tousse.

Page 201 donne nous ton fils refrain et 2e couplet.

Je pense aux photos de la maison abandonnée près de la manche en Normandie, un soir avec Ghi. Elle était restée dans le van à m'attendre.

Y a plein de fumée. Val tousse.

Donne-nous ton fils.

Un employé apparaît à gauche, il me regarde. On dirait le fils du prêtre. Il prépare une coupelle sur un tabouret.

J'ai plus pleuré à la cérémonie de tonton Jo.

Les gens viennent du fonds asperger, une jeune beauté qui pleurait déjà tout à l'heure devant l'église.

Michael serre la main de Val.

Janine, l'amie de Thérèse.

Un vieux qui sanglote.

Tous payent.

Une dame qui pleure.

Deux jeunes.

Le père de Michael, beaucoup de gens, beaucoup d'âgés.

Une dame éplorée embrasse les parents qui pleurent; mes yeux sont secs.

Mon père et Hélène.

Je lui fais signe de donner mon sac.

Val sanglote.

Je prends prépare un euro.

Ils retirent l'attirail avant que tous soient passés et débarrassent les fleurs.

Val me regarde brièvement. J'ai les larmes aux yeux j'en essuie une à gauche.

Le prêtre éteint les quatre cierges allumés par nous et les écarte du cercueil sur tréteaux. Les quatre hommes verts s'en emparent après avoir remonté la couverture bordeaux à franges moutarde.

Enfournement dans un camion 5181 TV 50 Rougereau. Je reste planté derrière. Ma tante et Valérie à ma gauche. Valérie. Elle dit à Michaël qu'elle n'a pas la force, sans doute de saluer les gens. Il va seul.

Mon père et Hélène parlent aux parents de Ghi. Puis ma tante s'avance. Je la suis. Elle explique que ma mère pensait venir mais n'a pas réussi à nous joindre.

Je vois les cinq collègues de Ghislaine ensemble, dont deux métis noires. Elles ne me saluent pas, doivent me haïr. Je les comprends.

Nous allons dans le camping-car, ma tante derrière avec moi.

Je raconte le coup de fil de Pascale, le premier depuis des années. Ma tante fait Ah! mon père et Hélène ne réagissent pas.

Mes yeux sont secs.

C'est boueux, dit Hélène. Je me garerai sur les cailloux.

On descend. J'hésite à prendre mon sac, au cas où on ne repasse pas par le camping-car avant d'aller chez les parents de Ghislaine, et le laisse. Il y a les collègues de Ghislaine, et je vois son oncle handicapé mental. Je le salue et lui parle. Il a appris avec sa mère et une cousine quand Thérèse et Daniel (il a du mal à retrouver son nom) sont venus à la maison. Je vois que les parents, Ghislaine allai-je écrire..., Valérie et Michael sont juste à l'arrière du camion et Thérèse semble m'attendre. Je les rejoins vite. Thérèse me prend la main, comme elle tient la main de son mari. Valérie et Michael sont derrière. Je m'accroche à une poignée du camion jusqu'à ce qu'il accélère et s'arrête. On recule un peu. Ils sortent le cercueil. L'employé nous indique le chemin à suivre. Je suis juste à coté du prêtre. Il dit ses paroles. Je vois à coté de toi la tombe de Marie Madeleine: 1911-2002, morte peu avant toi. J'aurais aimé que toi aussi tu atteignes ta 91e année. Le prêtre me passe l'aspergeoir en premier et je l'utilise maladroitement avant de le passer aux parents. L'employé me montre le chemin à suivre. Le prêtre me dit que je pouvais rester plus près.

*

Françoise, la fille unique d'André, le frère aîné de Daniel, me raconte qu'elle avait hébergé Ghislaine chez elle et son mari (qui ressemble étrangement au frère d'Isabelle T.) lorsqu'elle était venue travailler en région parisienne, dans le Val de Marne. Ils la ramenaient souvent ici le week-end. Puis elle a habité un foyer du Conseil général, le foyer Chérioux à Vitry sur Seine. Elle était dans une grande pièce sous les toits, avec quatre lits. Les autres pièces de cette aile étaient inoccupées. Elle lui a dit qu'elle sentait des présences. Le soir, elle coinçait la porte avec une chaise. Elle disait que s'il se passe quelque chose, elle lui dirait, mais la fois suivante, elles n'en ont pas parlé. Elle lisait beaucoup de livres sur la voyance, le paranormal. Pas à l'époque où je l'ai connue. J'aurais aimé qu'elle me parle de cela. C'est trop tard. Je n'en saurai guère plus. On désire savoir lorsque cela devient impossible. On croit avoir le temps, on s'intéresse à d'autres choses. Et Ghislaine était secrète, introvertie. Après plusieurs mois, elle a loué un logement au rez-de-chaussée à Paris. Après, elles se voyaient moins. Il y a souvent des silences, sa mère qui vient nous rejoindre, que j'invite à s'asseoir sur le canapé.

Mon père vient me parler de ma sœur. Elle lui avait demandé de ne plus l'appeler. Elle a inversé les rôles. Elle dit que c'est lui qui ne veut pas la voir.

On me salue.

On va au cimetière. Je rattrape les trois de ma famille. J'ai envie de rire, de sauter en l'air. Ils parlent d'arbres qui tombent. Quel vent! J'ai froid. Puis de plantes.

Lorsque nous revenons, je décide d'y retourner seule faire des photos.

Il y a un couple près de la tombe de Ghi. Ils me demandent si je suis de la famille, puis me parlent des dégâts occasionnés par les travailleurs sur la tombe voisine d'un parent à eux.

Je prends les photos souvenir en couleur: 14 mm f8 1/30s. Je trouve du matériel de jardinage à photographier, puis la végétation. La porte poussée par le vent m'invite à partir. Mais 100 m plus loin, je reviens pour une photo à laquelle je pense: au 14 mm, les fleurs de Ghislaine avec l'église derrière, comme les photos souvenir 24x36 en couleur. Le Soleil apparaît. J'en profite pour faire d'autres photos couleur.

Il y a mon père, Hélène, tata, Valérie, Thérèse, Daniel. Sur la suggestion de Thérèse, Daniel me donne une lettre, avant qu'on oublie. Elle a un liséré gris tout autour.

Ils parlent de maison, carrelage, plaintes, travaux; Thérèse dit: "Heureusement que le carrelage était fini." On a les satisfactions qu'on peut. Je suis silencieux parmi eux, en groupe. Je pense au mariage de Valérie, il y a trois ans et demi. J'étais si gai, exceptionnellement meneur d'ambiance.

Ils parlent de cambriolage.

Ils parlent enfin de Ghislaine, qui ne s'habillait pas beaucoup; elle avait souvent froid. Mon père parle de la fois où elle avait pris la chauve-souris dans sa main et où celle-ci s'était soulevée sur ses pattes.

La mère me demande ce qu'il y a comme messages sur le portable de Ghislaine. J'entends des voix quelconques, lis un message "je ne suis pas Rebeka".

Après, ils parlent cheminée, puis de Louis qui aime allumer le feu.

J'ai l'impression d'être en décalage.

Ma tante me questionne sur le Psion, ses batteries, son autonomie, qu'on peut mettre beaucoup de choses, parle de l'enregistrement de la cérémonie. je n'enregistre pas, je dis.

Ma tante fait parler Daniel sur le bois de chauffage.

Thérèse et sa fille discutent dans la cuisine avec Hélène. Je les entends rire.

On entend Les grands-parents de Louis arriver. Daniel me dit, ému aux larmes: on n'a pas dit à Louis. Quand il va te voir, il va demander. Tu diras qu'elle est en voyage. Valérie, émue, dit qu'elle lui expliquera plus tard.

Lorsqu'il voit mon père à travers ses lunettes, il demande qui c'est ça? On le bise. "C'est Luca."

Je baille.

Ma tante dit vers mon père: "Ca va leur faire du bien ce petit."

Ils parlent de la Corse, les voitures dans les ravins pour escroquer les assurances. J'y étais il y a huit ans. Tu n'auras jamais connu la Corse. J'envisageais un voyage avec le van en Corse plus en Sardaigne, à partir du port de Libourne.

Louis dit "manger Luca" lorsque je reconnecte. Je me demande pourquoi moi... "Il y a que de l'os', dit Daniel.

Thérèse distribue les chambres. "Luca dormira dans celle du bas avec le petit lit, puisqu'il est seul." Voilà.

Repas au bout de la table, j'espère ma tante à droite. Thérèse et tante se mettent à l'autre bout avec Louis.

Vers la fin du repas. J'entends Val parler des réactions de Louis et m'assois en face. Le soir de l'accident, il restait au fournil jusqu'à 3h et demi du matin, à poser des questions sur Ghislaine et l'accident. Là, il en n'a plus parlé en voyant Luca.