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Autobiographèmes philosophiques
Je rapporte ici des souvenirs de façon éparse, car
je n'en connais pas l'ordre chronologique et ne peux guère les relier entre
eux.
*
Enfant, je croyais qu'apprendre un langage étranger
consistait à apprendre à convertir les sons ou les lettres d'un langage à
l'autre.
*
Enfant, en regardant la télévision, je m'étonnais
d'avoir l'impression que le présentateur ou journaliste qui regardait la caméra,
me regardait quelle que soit ma position devant l'écran du téléviseur; je m'éloignais
de l'axe du téléviseur, m'approchant du plan de l'écran, mais rien n'y
faisait: l'impression subsistait. *
Comme à beaucoup d'enfants de ma société, les
adultes m'ont fait croire qu'un personnage, le Père-Noël, apportait des
cadeaux chaque année une nuit proche du solstice d'hiver. Je me souviens d'une
dispute collective entre deux groupes d'enfants dans la cour de l'école, moi
faisant partie de ceux qui affirmaient la réalité de ce personnage. Un jour,
j'avais je crois sept ans, ma sœur m'a dit la vérité. J'ai ressenti une
impression de trahison, et dorénavant une méfiance envers le discours
autoritaire.
Deux thèmes ont suscité mon interrogation: la
religion et la sexualité. Lors des catastrophes et horreurs relatées au
journal télévisé, mon grand-père disait qu'un nuage avait empêché au dieu,
bon et tout-puissant, auquel croyait ma grand-mère de voir ce qui advenait. Les
explorations astronautiques me semblaient prouver qu'il n'y avait ni dieu, ni
paradis dans le ciel. Je m'interrogeais sur ce que pouvaient croire les déistes,
et pourquoi. Sur la sexualité, je ne comprenais as pourquoi c'était un thème
tabou, pourquoi ce plaisir avait tant d'interdictions. * Devant ma curiosité et mes questions, vers neuf ans, la tante m'appelait « la poule gratteuse » ou « la mouche à merde ».
* Vers quatorze ans, j'imaginais qu'il y avait une imbrication infinie des "mondes", des "cosmos", et que dans une particule de matière du notre, il y avait un monde similaire en miniature, et que le nôtre constituait une particule d'un autre gigantesque; j'imaginais un récit où notre monde faisait partie d'un individu qu'une maladie atteignait, menaçant de destruction notre monde.
*
Si j'ai commence cette encyclopédie, c'est (aussi)
parce que j'avais un problème de mauvaise éducation: incomplète,
contradictoire; souvent donc, je ne savais pas quoi faire, j'hésitais,
m'interrogeais.
*
À quinze ans, à l'école, j'apprenais en cours de
sciences physiques la résolution d'équations différentielles selon
lesquelles, à partir de l'état d'un système (matériel)
en mouvement, on pouvait calculer tous ses états antérieurs et ultérieurs.
Je suis devenu déterministe.
Par la suite, je me suis demandé ce qu'étaient la
liberté, la volonté, la conscience, dans cette perspective.
*
Lors de la première moitié de l'été, un à deux
mois avant mon dix-septième anniversaire, je m'ennuyais ferme chez mon père et
sa compagne, fort peu causants avec moi, étrangers à mes préoccupations, dans
un village où je ne connaissais qu'eux, Coltainville sur cette morne plaine céréalière
qui entoure Chartres. Cette absence de communication, cette solitude, m'ont
conduit à un stade proche de la psychose naissante. J'écrivais constamment, je
me prenais pour une sorte d'antéchrist et l'unique manifestation un peu
physique, corporelle, hallucinatoire que j'avais était celle, le soir couché
dans un canapé pour dormir, que j'avais dans une obscurité totale (à laquelle
j'étais peu habitué par la ville — d'ailleurs la fermeture quotidienne des
volets, qu'on m'exigeait, devint pour moi un problème, et je sentais une aliénation
dans l'obéissance à une injonction qui n'était pas justifiée. Une fois, je
leur écris un mot auquel, toujours taiseux de ce qui n'était pas dans le
cercle étriqué de leurs préoccupations, ils n'ont daigné apporter aucune réponse),
d'avoir l'impression que mon corps basculait en arrière, vers le bas, selon un
axe qui traversait mes pieds. Je me suis mis à vouloir écrire tout ce que je
pensais, frénétiquement.
À seize ans et dix mois, donc, j'ai voulu/tenté de
tout mettre au clair par écrit, tout réduire à des problèmes fondamentaux.
Ça a commencé par la distinction entre ce que j'appelais «l'état primaire de
la matière-mouvement» (la réalité) et «l'état secondaire de la matière-mouvement»
(la représentation), tout ce qui est image, langage, pensée, dessin,
photographie, etc. C'est devenu le premier chapitre de l'encyclopédie: "Réalité
et représentation".
Toute la suite de mon parcours philosophique est
consignée dans le journal philosophiques que j'ai alors commencés à écrire.
Néanmoins, je veux aller plus loin dans la genèse
de ma volonté de faire cette encyclopédie.
Mes parents étaient séparés depuis avant ma
naissance. J'ai su longtemps après que ma mère avait pensé se faire avorter.
Jusqu'à mon adolescence, mon père, qui travaillait aux alentours,
venait deux à quatre soirs du début de semaine dormir dans
l'appartement; il dormait sur le canapé du salon, ma sœur, de huit ans mon aînée,
dormait dans sa chambre et je dormais dans le même lit que ma mère, jusqu'à
mes onze douze ans, lorsque ma sœur est partie. Mon père vivait le reste de la
semaine à la campagne avec sa nouvelle conjointe; parfois, ma mère m'envoyait
en week-end là-bas, voire pour des vacances, ce qui m'était pénible; mon père
parlait peu et il était difficile d'avoir des conversations avec lui; ma mère
avait un métier commercial et des horaires variables; elle rentrait tard et j'étais
souvent seul à la maison; la télévision était ma nounou; ma mère avait un
amant, un homme marié qui venait souvent déjeuner à midi et qu'elle présentait
hypocritement, mensongèrement comme un "ami", alors qu'elle ne
recevait jamais d'amis à la maison.
Ma mère a psychiquement abusé de moi; adolescent,
elle ne voulait penser mes problèmes que comme une crise d'adolescence, alors
que je lui disais que ce n'était pas une crise d'adolescence.
Ma mère me trimballait comme un rempart contre les
autres. Sans éducation établie, il m'aura fallu tenter de reconstruire des repères.
J'envisage mon œuvre philosophique comme un
sacrifice nécessaire causé par une mauvaise éducation, une mauvaise
instruction, un mauvais environnement social.
*
La vérité, je l'ai toujours voulue, elle m'a
souvent été refusée.
*
Enquête familiale dans les autobiographèmes: les événements
que je n'ai pu découvrir qu'après leur existence.
La conjugalité de mes parents a commencé avec
l'existence de ma sœur: ma mère étant involontairement enceinte, ils se sont
mariés. Ils se sont séparés autour de ma naissance, huit ans après, lorsque
mon père a rencontré une autre femme qui lui convenait mieux, et ma mère a
fait une dépression. J'ai compris que si cela avait été autorisé, j'aurais
été avorté.
Mon père était un homme interpsychiquement infirme.
Sa mère et son père l'avaient eu involontairement, à vingt ans et dix-neuf
ans (mon père aussi avait quelque huit mois de moins que ma mère). Elle le délaissait
beaucoup, s'en occupait guère, était autoritaire et dominait son mari. Elle
l'a empêché de faire les études technico-scientifiques qui lui étaient
proposés pour ses talents mais elle a refusé, l'a mis au travail et lui a volé
ses payes. Fâché, il ne les a as revus jusqu'à ce qu'ils le recontactent, ce
qui fait que je ne les ai vus qu'à partir de seize ans. Ainsi que son père, le grand-père paternel de ma mère était un homme autoritaire. |