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Sommaire de l'anthologie

L'anthologiste

Cont@ct

 

Andy Warhol

 

 

Andrew Warhola est né le 6 août 1928 à Pittsburg. Il est mort le 22 février 1987 à New York.

 

 

Ma philosophie de A à B et vice-versa (1975)

Chapitre 1 : Amour (Puberté)

Maintenant, les gens qui m'imaginent comme le coureur de soirées des années 60, toujours accompagné d'une « suite d'au moins six personnes, risquent fort de se demander comment j'ose me qualifier de solitaire, alors laissez-moi vous expliquer ce que j'entends par là, et en quoi c'est justifié. Aux époques de ma vie où je me suis senti le plus grégaire, à la recherche d'amitiés exubérantes, je ne trouvais pas preneur, c'est donc aux moments précis où j'étais seul que je désirais le plus vivement ne pas être seul. Dès l'instant où j'ai préféré être seul plutôt que d'avoir à écouter les problèmes des autres, tous les gens que je n'avais jamais vus de ma vie se sont précipités sur moi pour me raconter ce que justement je venais de décider qu'il valait mieux ne pas entendre. C'est du jour où je suis devenu solitaire en esprit, que j'ai eu ce qu'on peut appeler ma suite.

Dès que vous cessez de vouloir quelque chose, vous l'obtenez. J'ai découvert que ce principe était absolu.

[Lu le dimanche 16 mars 2008, édition Flammarion, 2001, p. 30]

 

En revenant de chez le psychiatre, je me suis arrêté chez Macy's et, pris d'une inspiration soudaine, j'ai acheté mon premier téléviseur, un RCA noir et blanc en 54 centimètres. Je l'ai emporté chez moi, dans l'appartement où je vivais seul, dans la 75e rue Est, et j'ai aussitôt oublié le psychiatre. Je laissais la télé allumée sans arrêt, surtout quand les gens me parlaient de leurs problèmes, et je m'aperçus que la télévision me divertissait juste assez pour que les problèmes que me racontaient les gens ne m'affectent plus. C'était comme un truc magique.

[Lu le dimanche 16 mars 2008, édition Flammarion, 2001, p. 30-31]

 

Dans les années qui suivirent ma décision d'être un solitaire, je devins de plus en plus populaire, et j'eus de plus en plus d'amis. Professionnellement, je m'en tirais bien. J'avais mon propre studio, avec des gens qui travaillaient pour moi. Un arrangement se dessina peu à peu, et ils se mirent à vivre réellement dans mon atelier de travail. En ce temps-là, tout était vague, flexible. Des amis d'amis.

[Lu le dimanche 16 mars 2008, édition Flammarion, 2001, p. 31]

 

Lorsque j'eus mon premier téléviseur, je cessai de me soucier autant d'avoir des relations intimes avec d'autres gens. J'avais été blessé comme on ne peut l'être que quand on y met tout son cœur. Je suppose donc que je désirais ces amitiés intimes de tout mon cœur, avant que personne ait jamais entendu parler de « Pop Art », de « films underground » ou de « superstars ».

Donc vers la fin des années 50, j'ai commencé à avoir une liaison avec mon téléviseur - et elle continue encore maintenant - j'en allume jusqu'à quatre à la fois dans ma chambre à coucher. Mais je ne me suis marié qu'en 1964, lorsque j'eus mon premier magnétophone. Ma femme. Il y a maintenant dix ans que nous sommes mariés mon magnétophone et moi. Quand je dis « nous », je parle de mon magnétophone et de moi. Beaucoup de gens ne comprennent pas cela.

L'acquisition de mon magnétophone a vraiment mis fin à tout ce que j'avais pu avoir comme vie émotionnelle, et j'en fus bien content. Rien ne fut plus jamais un problème, car un problème signifiait simplement une bonne bande, et quand un problème se transforme en bonne bande, ce n'est plus un problème. Un problème intéressant était une bande intéressante. Tout le monde le savait et faisait de son mieux pour la bande. On n'aurait pas pu dire quels problèmes étaient réels, ni quels problèmes étaient exagérés pour la bande. Mieux encore, les gens qui vous racontaient leurs problèmes ne pouvaient déterminer s'ils avaient vraiment ces problèmes ou s'ils exécutaient une représentation.

Pendant les années 60, je crois que les gens ont oublié ce que les émotions étaient censées être. Et je ne pense pas qu'ils s'en soient jamais souvenus depuis. Dès l'instant où vous avez vu les émotions sous un certain angle, à mon avis, vous ne pouvez plus jamais les considérer comme réelles. C'est plus ou moins ce qui m'est arrivé.

Je ne sais pas si j'ai jamais été capable d'amour, mais après les années 60 je n'ai plus jamais pensé en termes d' amour ».

En tout cas, je suis devenu ce qu'on pourrait appeler « fasciné » par certaines gens. Dans les années 60, une personne m'a fasciné plus qu'aucune autre que j'aie connue. Et cette fascination était sûrement très proche d'une certaine forme d'amour.

[Lu le dimanche 16 mars 2008, édition Flammarion, 2001, p. 33-34]