Tite-Live
Tite-Live est un historien né vers -59 et mort en 17, à Padoue..
Histoire de Rome depuis sa fondation (commencé vers -27) (1) Après ces immortels travaux, et un jour qu’il assistait à une assemblée, dans un lieu voisin du marais de la Chèvre, pour procéder au recensement de l’armée, survint tout à coup un orage, accompagné d’éclats de tonnerre, et le roi, enveloppé d’une vapeur épaisse, fut soustrait à tous les regards. Depuis, il ne reparut plus sur la terre. (2) Quand l’effroi fut calmé, quand à l’obscurité profonde eut succédé un jour tranquille et pur, le peuple romain, voyant la place de Romulus inoccupée, semblait peu éloigné de croire au témoignage des sénateurs, lesquels, demeurés près du roi, affirmaient que, pendant l’orage, il avait été enlevé au ciel. Cependant, comme si l’idée d’être à jamais privé de son roi l’eût frappé de terreur, il resta quelque temps dans un morne silence. (3) Enfin, entraînés par l’exemple de quelques-uns, tous, par acclamations unanimes, saluent Romulus, dieu, fils de dieu, roi et père de la ville romaine. Ils lui demandent ; ils le conjurent de jeter toujours un regard propice sur sa postérité. (4) Je suppose qu’il ne manqua pas alors de gens qui accusèrent tout bas les sénateurs d’avoir déchiré Romulus de leurs propres mains ; le bruit même s’en répandit, mais n’acquit jamais beaucoup de consistance. Cependant l’admiration qu’il inspirait, et la terreur du moment, ont consacré le merveilleux de la première tradition. (5) On ajoute que la révélation d’un citoyen vint fortifier encore cette croyance. Tandis que Rome inquiète déplorait la mort de son roi, et laissait percer sa haine contre les sénateurs, Proculus Julius, autorité grave, dit-on, même à propos d’un fait aussi extraordinaire, s’avança au milieu de l’assemblée, et dit : (6) "Romains, le père de cette ville, Romulus, descendu tout à coup des cieux, m’est apparu ce matin au lever du jour. Frappé de terreur et de respect, je restais immobile, tâchant d’obtenir de lui, par mes prières, qu’il me permît de contempler son visage : (7) "Va, dit-il, annoncer à tes concitoyens que cette ville que j’ai fondée, ma Rome, sera la reine du monde ; telle est la volonté du ciel. Que les Romains se livrent donc tout entiers à la science de la guerre ; qu’ils sachent, et après eux leurs descendants, que nulle puissance humaine ne pourra résister aux armes de Rome." À ces mots, continua Proculus, il s’éleva dans les airs. (8) Il est étonnant qu’on ait si facilement ajouté foi à un pareil discours, et aussi combien la certitude de l’immortalité de Romulus adoucit les regrets du peuple et de l’armée.
Autre traduction Après ces immortels travaux, un jour que, pour passer en revue ses troupes, il tenait une assemblée dans la plaine au marais de la Chèvre, soudain éclata un orage accompagné de violents coups de tonnerre. Le roi fut enveloppé d’un nuage si épais qu’il disparut aux regards de l’assemblée. Depuis lors Romulus ne reparut plus sur terre. Les jeunes Romains se remettant, enfin, de leur frayeur avec le retour d'un jour pur et serein après un tel orage, et voyant le trône royal vide, étaient assez disposés à croire, d'après les Pères placés tout près du roi, qu'il avait été enlevé par l'orage. Néanmoins, frappés d'effroi comme s'ils avaient perdu leur père, ils eurent un moment d'accablement muet. Puis, suivant l'exemple de quelques-uns, tous à la fois poussent des vivats en l'honneur de « Romulus, dieu et fils d'un dieu, roi et père de la ville de Rome ». Ils implorent son appui ; ils demandent que « sa faveur bienveillante étende toujours sa protection sur ses enfants ». Il y eut, je crois, dès ce moment quelques sceptiques qui soutenaient tout bas que le roi avait été mis en pièces par les Pères de leurs propres mains : en effet, cela s’est dit également, en grand mystère ; l’autre version fut popularisée par le prestige du héros et les dangers du moment.
Autre traduction Après ces travaux dignes de l'immortalité, un jour où il avait rassemblé son armée dans la plaine près du marais de la Chèvre pour la passer en revue, un très violent orage, accompagné de coups de tonnerre, éclata soudain. Le roi fut enveloppé d'un nuage si épais que l'assemblée le perdit de vue : depuis ce jour Romulus ne reparut plus sur terre. Les hommes se remirent enfin de leur frayeur lorsque, après un cataclysme si violent, le temps redevint clair et beau. Voyant que le trône du roi demeurait vide, ils crurent les patriciens qui se trouvaient à côté de lui, quand ils affirmèrent que Romulus avait été emporté par l'orage, mais n'en gardaient pas moins un douloureux silence, accablés par cette perte qu'ils ressentaient comme celle d'un père. Ensuite, à l'initiative de quelques-uns, ils rendirent un hommage unanime à Romulus, dieu et fils d'un dieu, roi et père de Rome. Ils imploraient dans leurs prières sa bienveillance : puisse-t-il toujours protéger la race qui descendait de lui en étendant sur elle sa grâce et sa faveur.
La ville, inquiète, regrettait son roi et s’irritait conte les Pères, quand Proculus Julius, dont l’affirmation avait du poids, paraît-il, toute étrange qu’elle fût, se présente au peuple : « Romains », dit-il, « Romulus, père de notre ville, est descendu soudain du ciel, ce matin, et s’est offert à mes yeux; et, comme je me tenais devant lui, plein de crainte et de respect, et lui demandais instamment la faveur de le regarder en face : «Va», m’a-t-il dit, «et annonce aux Romains que la volonté du ciel est de faire de ma Rome la capitale du monde. Qu’ils pratiquent donc l’art militaire. Qu’ils sachent et qu’ils apprennent à leurs enfants que nulle puissance humaine ne peut résister aux armes romaines.» «À ces mots», dit-il, «il s’éleva dans les airs et s’en alla.» On ne saurait croire combien le personnage et son récit inspirèrent confiance, et combien le regret de Romulus s’atténua dans le peuple et dans l’armée dès qu’on crut à son immortalité.
[lu le 3 décembre 2014] |