Accueil du site

Sommaire de l'anthologie

L'anthologiste

Cont@ct

 

Térence

 

Térence est né vers 185 en Afrique et fut amené enfant à Rome en tant qu'esclave et, remarqué, il fut instruit et affranchi. Il a eu le temps d'écrire six comédies avant de mourir dans un naufrage alors qu'il allait en Grèce chercher des comédies inconnues afin de s'en inspirer pour écrire de nouvelles comédies.

 

L'Andrienne

Acte IV

Scène première

Charinus: - Une fois que je t'ai dit que je l'aimais, elle t'a plu. Hélas, pauvre de moi, qui ai jugé de ton cœur par mon propre cœur.

****

L'Eunuque

Acte I

Scène première

Parménon: - Maître, une chose qui n'a en soi ni raison ni mesure aucune, tu ne peux la régler par raison. Dans l'amour, il y a tous les maux que tu sais: affronts, soupçons, brouilles, armistices, guerre, et de nouveau la paix; si tu prétends soumettre toutes ces choses fluctuantes à la stabilité de la raison, tu n'obtiendras rien de plus que si tu t'efforçais d'être raisonnable en pleine folie.

***

Acte II

Scène II

Gnathon, se croyant seul: - Dieux immortels, qu'un homme peut l'emporter sur un autre! Entre un sot et un homme avisé, quelle différence! Cette idée m'est venue précisément pour la raison que voici: j'ai rencontré aujourd'hui en venant un homme de ma condition et de mon rang, un individu non sans mérite qui, comme moi, avait dévoré son patrimoine. Je le vois broussailleux, sale, l'air malade, couvert de haillons et d'années. "Oh, quelle est cette tenue, je lui dis? - Parce que j'ai perdu, pour mon malheur, ce que je possédais, et voici à quel point j'en suis réduit! Toutes mes connaissances et mes amis m'abandonnent." Alors, je me suis senti plein de mépris pour lui, en le comparant à moi: "Eh quoi, lui dis-je, le plus lâche des hommes, tu t'es arrangé de telle manière qu'il ne te reste aucun espoir? Tu as perdu l'esprit en même temps que la fortune? Tu me vois, moi, qui suis sorti du même milieu que toi, quel teint, quelle belle mine, quels vêtements, quelle allure sont les miens? Je possède tout, et pourtant je ne possède rien; tout en n'ayant rien, rien ne me manque pour autant: - Mais moi, infortuné, je ne puis faire rire de moi, ni supporter les coups: - Quoi? Tu crois que c'est de cette manière qu'on y arrive? Tu te trompes du tout au tout. Autrefois, cette espèce d'hommes pouvait gagner quelque chose, dans la génération d'avant nous; mais voici une nouvelle façon d'attraper les oiseaux; et c'est moi précisément qui, le premier, en ait trouvé la méthode. Il est une espèce d'hommes qui veulent être les premiers en toutes choses, et qui ne le sont point; je les suis, je ne leur donne pas l'occasion de rire de moi, mais c'est moi qui, de moi-même, leur ris, et, en même temps, admire leur génie; à tout ce qu'ils disent, j'applaudis; s'ils disent le contraire, j'applaudis encore; quelqu'un dit non, je dis non; on dit oui, je dis oui; enfin, j'ai obtenu de moi d'approuver tout; et ce métier est, maintenant, de beaucoup le plus profitable de tous."

Parménon, à part: - Ah, l'habile homme, par Hercule! Il transforme directement les imbéciles en fous.

Gnathon: - Tandis que nous parlons, voici que, sur ces entrefaites, nous arrivons au marché, et tous les marchands accourent vers moi, l'air joyeux; marchands de thon, bouchers, cuisiniers, charcutiers, poissonniers, à qui, au temps de ma fortune, j'avais rendu service, et je rends encore service; ils me saluent, m'invitent à dîner, me font fête à ma venue. Et lorsque le pauvre traîne-la-faim voit que je suis si honoré et que je gagne si aisément ma vie, le voici qui se met à me supplier de le laisser s'instruire auprès de moi. Je lui dis de me suivre, pour voir si l'on ne pourrait pas, comme les écoles des philosophes prennent un nom dérivé de celui de leur fondateur, faire que les parasites, de la même manière, soient appelés Gnathoniciens.

Parménon, à part: - Voyez où conduisent l'oisiveté et le fait de se faire nourrir par autrui!

***

Acte III

Scène première

Gnathon: - Puisqu'elle attend et aime ce que tu lui donnes, il y a longtemps qu'elle t'aime, et il y a longtemps qu'il t'est facile de la faire souffrir; elle craindra toujours que les bénéfices qu'elle tire de toi maintenant, tu n'ailles, si tu es en colère, les porter ailleurs.

***

Acte IV

Scène VII

Thrason: - Que faisons-nous, maintenant?

Gnathon: - Eh bien, retournons chez nous; elle sera bientôt là, à nous supplier, d'elle-même.

Thrason: - Tu crois?

Gnathon: - Mais c'est certain; je connais les femmes; elles ne veulent pas quand tu veux, quand tu ne veux pas elles sont les premières à désirer.

***

Acte V

Scène IX

Thrason, à part: - Je suis mort! Moins il y a d'espoir, et plus je l'aime.

****

Phormion

Prologue

Le vieux poète a souhaité arracher notre poète à son métier pour le faire mourir de faim; l'autre a voulu répondre, non pas attaquer; s'il avait rivalisé avec des propos aimables, il aurait été traité aimablement.

***

Acte II

Scène II

Phormion: - Dis-moi donc un peu, as-tu jamais entendu dire que l'on m'ait assigné en justice pour dommages?

Géta: - Comment fais-tu?

Phormion: - Parce qu'on ne tend pas de filets pour prendre l'épervier ni le milan, qui nous font du mal; on en tend pour prendre ceux qui sont innocents; parce que les seconds peuvent rapporter quelque chose, tandis que, pour les premiers, c'est du temps perdu. D'autres courent des risques, ceux où il y a quelque chose à gratter; chez moi, on sait que je n'ai rien. Tu me diras: "Ils te feront condamner à servir dans leur maison"; ils ne veulent pas nourrir un individu vorace, et ils ont raison, à mon sens, de ne pas vouloir payer le mal que je leur ai fait du plus grand des bienfaits!

****

La Belle-Mère

Acte III

Scène V

Lachès: - Tu ne fais que d'arriver?

Pamphile: - J'en suis sûr.

Lachès: - Dis-moi, que nous a laissé Phania, notre cousin?

Pamphile: - On peut dire, par Hercule, qu'il fut, tant qu'il vécut, quelqu'un qui ne se préoccupait que de son plaisir; et les gens de ce genre-là ne font pas beaucoup pour leur héritier, mais ils laissent pour eux-mêmes cet éloge: "Il a vécu, aussi longtemps qu'il a vécu, heureux."

Lachès: - Ainsi, tu n'as rien apporté de plus qu'une maxime?

Pamphile: - Quoi qu'il nous ait laissé, c'est tout avantage.

Lachès: - Non, dommage! Car je voudrais qu'il fût vivant et sauf!

Phidippe: - Tu peux souhaiter cela sans risque; il ne ressuscitera pas maintenant, et pourtant je sais laquelle tu préfères des deux choses.

****

Les Frères

Acte I

Scène I

Micion: - Voilà ma méthode, voilà ce dont je suis persuadé: celui qui accomplit son devoir sous la contrainte du châtiment, ne se contient qu'aussi longtemps qu'il croit que ce qu'il fait peut venir à se savoir; s'il espère que cela sera caché, il revient à son naturel; celui que l'on s'attache par de bons procédés agit du fond du cœur, il s'efforce de rendre la pareille, que l'on soit ou que l'on n'y soit pas, il restera le même. Le devoir d'un père, c'est d'habituer son fils bien

**

Scène II

Micion: - Il n'a pas tout à fait tort, mais il n'a pas tout à fait raison non plus, dans ce qu'il dit; ces choses ne laissent pas de m'être pénibles, mais je n'ai pas voulu montrer qu'elles me déplaisent; car il est comme cela; lorsque j'essaie de l'apaiser, que je dis exactement le contraire, que je m'efforce de le faire changer d'idée, il a peine à le supporter sans se fâcher; mais si j'abondais dans son sens, si même je renchérissais sur sa colère, je deviendrais aussi fou que lui.

***

Acte IV

Scène VII

Déméa: - Au reste, cela te plaît, Micion?

Micion: - Non, si je pouvais y changer quelque chose, mais comme je ne le puis, je le supporte patiemment. La vie des hommes, c'est comme quand on joue aux dés; si ce qu'on obtient en les lançant n'est pas exactement ce dont on aurait eu besoin, il faut y remédier par son habileté à jouer.

***

Acte IV

Scène IV

Déméa, resté seul: - Jamais personne n'a si bien réfléchi à ce que devrait être sa vie, ni si bien calculé que les faits, le temps, l'expérience ne lui apportent quelque chose, qui montre que l'on ignore ce que l'on croyait savoir, et qui fait qu'à l'épreuve on refuse ce que l'on croyait savoir, et qui fait qu'à l'épreuve on refuse ce que l'on croyait autrefois le plus important. C'est ce qui m'arrive maintenant; car jusqu'ici j'ai vécu une vie dure, et voici que, le cours de ma vie presque terminé, j'y renonce. Pourquoi cela? J'ai découvert par expérience qu'en réalité il n'y avait pour l'homme rien de mieux que la douceur de mœurs et l'indulgence. Que cela soit vrai, n'importe qui peut s'en rendre compte, d'après mon frère et d'après moi-même. Lui, il a toujours passé sa vie dans le loisir et les banquets, paisible, tranquille, ne heurtant personne, souriant à tous; il a vécu pour lui, il a dépensé pour lui; tout le monde dit du bien de lui, et l'aime. Moi, le rustre, le mauvais, le sombre, l'avare, le bourru, l'entêté, je me suis marié; quelle misère j'en ai eue! Des fils sont nés; nouveaux soucis; hélas! En cherchant à faire le plus possible pour eux, j'ai usé au travail ma vie et toute mon existence; maintenant que j'ai presque terminé mon temps, voilà le fruit que je tire d'eux pour ma peine: la haine; l'autre, sans effort, jouit des avantages de la paternité; c'est lui qu'ils aiment; moi, ils me fuient; à lui, ils confient tous leurs projets, ils le chérissent, ils sont tous deux chez lui; moi, je suis abandonné; ils souhaitent qu'il vive, et moi, ils attendent évidemment ma mort. Ainsi, ces enfants que j'ai élevés à grand-peine, il se les est appropriés, à peu de frais; moi, j'ai tous les ennuis, et lui, il obtient toutes les joies. Allons, allons, essayons maintenant de voir si je puis moi aussi, pour lui faire pièce, parler gentiment, me montrer généreux, puisqu'il me provoque; moi aussi je souhaiterais être aimé des miens, et qu'ils fassent cas de moi. Si cela s'obtient à force de cadeaux et de complaisances, je ne serai pas en arrière.

**

Scène VII

Micion: - Mais dis-moi? Qu'est-ce qui a si brusquement changé tes façons d'être? Quelle lubie? Qu'est-ce que c'est que cette générosité soudaine?

Déméa: - Je vais te le dire, cela pour te montrer que, si les gens te jugent aimable et charmant, ce n'est pas parce que tu vis selon le vrai, ni non plus selon le juste et le bien, mais parce que tu les flattes, que tu es indulgent, généreux, Micion. Et maintenant, si mon genre de vie vous déplaît, Eschine, parce que je ne dis pas amen à tout, juste et injuste, eh bien, je n'en parle plus: gaspillez, achetez, faites à votre guise. Mais si vous préférez que, sur les points où vous voyez moins clair, en raison de votre jeunesse, de vos désirs trop violents, de votre manque de réflexion, je vous en reprenne et vous en corrige, et vous aide à l'occasion, alors me voici, je suis prêt à le faire.