Sénèque
Né vers l'an -4 à Cordoue, Lucius Annaeus Seneca fut un philosophe stoïcien. Il fut exilé plusieurs années en Corse, fut précepteur de Néron, ; et il se suicida en l'an 65 sur injonction de Néron.
De la Constance du sage
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Celui qui conteste se rend adversaire et pour vaincre se met au même niveau que
l'autre. - Mais que fera le sage si on lui donne un soufflet? - Ce que fit
Caton, quand on le frappa au visage; il ne s'emporta pas; il ne se vengea pas de
l'injure, il ne la pardonna même pas, mais il nia qu'on lui eût fait une
injure, il était d'une âme plus grande de l'ignorer que de la pardonner.
De
la Brièveté de la vie
I.
3 Ce n'est pas que nous disposions de peu de temps, mais nous en
perdons beaucoup. La vie est assez longue, elle nous est donnée assez généreusement
pour l'accomplissement des plus grandes tâches, si on l'emploie tout entière
à un bon placement; mais quand elle s'écoule au milieu du luxe et de
l'indolence, quand on la consacre à tout autre chose qu'au bien, finalement la
pression de la nécessité suprême nous impose cette constatation: la vie a
passé, et nous ne l'avons pas vu marcher. 4
Oui, la brièveté de la vie n'est pas notre lot, mais notre œuvre: nous ne
sommes pas démunis dans ce domaine, mais prodigues. Comme les immenses
richesses d'un roi, tombées en de mauvaises mains, se dissipent en un instant,
quand des ressources même très modestes, confiées à une bonne garde, se
trouvent mises en valeur et fructifient, ainsi notre existence, à qui sait
l'organiser, ouvre de vastes perspectives.
**** De la Tranquillité de l'âmeII. 6 Il y a aussi ceux qui ne changent pas, non pas par fermeté, mais par la faute de leur paresse, et qui vivent, non pas d'après leur volonté, mais d'après leurs habitudes premières. 7 Le mal revêt continuellement des formes innombrables, mais cette déformation a un résultat unique: l'insatisfaction du moi. La cause en est le déséquilibre de l'âme, la timidité ou l'échec des désirs, quand l'audace n'est pas à la mesure des convoitises ou que le succès se dérobe, quand l'espoir impose une tension à tout l'être. On souffre d'instabilité et d'agitation perpétuelles, lot inévitable des caractères hésitants. On cherche par tous les moyens à réaliser ses souhaits, on s'instruit et l'on s'astreint à une conduite immorale et pénible, et, voyant l'effort mal récompensé, on éprouve le sentiment torturant de la déchéance inutile, on souffre, non pas de ses intentions honteuses, mais de leur échec. 8 Dès lors vous êtes la proie du regret des actes et de la crainte d'entreprendre, on sent se glisser ce ballottement d'une âme qui ne trouve pas l'issue, parce qu'on ne peut ni commander ni obéir à ses passions, l'hésitation d'une existence qui n'arrive pas à s'épanouir, le marasme d'une âme paralysée au milieu de ses espoirs trahis. 9 Tout s'aggrave quand, par dégoût de cette misère pleine de tracas, on cherche refuge dans l'oisiveté et dans l'étude solitaire, insupportable pour une âme orientée vers la vie publique, avide d'action, naturellement réfractaire au repos, évidemment privée de réconfort intérieur. Aussi, une fois écartés les charmes que l'humanité trépidante trouve dans les occupations mêmes, on ne supporte ni demeure, ni solitude, ni murs. On déplore d'être abandonné à soi-même. |