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Plutarque
Plutarque est un historien et philosophe grec né vers 46 à Chéronée en Boétie (Grèce) et où il est mort en 125 après s'y être retiré vers 93-94, et après avoir effectué trois séjours à ROme où il fut enseignant et dont il a acquis la citoyenneté.
Vies parallèles des hommes illustres (100-120) Romulus XLII. Mais après que son aïeul Numitor fut décédé en la ville d'Albe, se pouvant emparer du royaume, comme à lui appartenant par droit de succession , il en remit le gouvernement à la commune, pour gagner en ce faisant la grâce du peuple : et tous les ans élisait un magistrat pour faire droit, et administrer justice aux Sabins. Cela enseigna aux nobles de Rome à désirer et chercher un gouvernement libre, qui ne fût point sujet au vouloir d'un roi seul, et où chacun commandât et obéit à son tour. Car ceux que l'on nommait Patriciens ne maniaient rien, mais avaient le nom et l'habit honorable seulement, et les assemblait-on en conseil plus pour une manière de faire, que pour avoir leur avis : car quand ils étaient assemblés, il fallait qu'ils écoutassent le commandement et l'ordonnance du roi sans dire mot, et puis qu'ils se retirassent, n'ayant autre avantage, par-dessus le menu populaire, sinon qu'ils savaient les premiers. ce qui s'était fait , et encore leur étaient toutes autres choses moins grièves; mais quand il distribua lui-même, de son autorité privée, à ses soudards les terres conquises sur les ennemis, et qu'il rendit les otages aux Veïens sans leur en parler , adonc sembla-t-il manifestement qu'il faisait grande injure au sénat. C'est une faute de Plutarque ou de ses copistes; il faut corriger, aux Albuins. B. XLIII. A l'occasion de quoi les sénateurs furent depuis soupçonnés de l'avoir fait mourir, quand peu de jours après il disparut si étrangement que l'on ne sut jamais ce qu'il devint : ce qui fut le septième jour du mois que l'on appelle maintenant juillet, qui lors se nommait quintilis, sans laisser rien de certain que l'on pût assurer de sa mort , sinon le temps tel que nous l'avons dit: car ce jour-là on fait encore maintenant beaucoup de choses en commémoration de l'accident qui lors advint. Et il ne faut pas trop émerveiller de l'incertitude de sa mort, attendu que Scipion l'Africain ayant été après souper trouvé mort en sa maison, on ne sut jamais avérer ni savoir comment il était mort.. Car les uns disent qu'étant maladif de sa complexion, il défaillit et mourut soudainement : les autres disent qu'il se fit lui-même mourir avec du poison ; les autres pensent que ses ennemis entrèrent secrètement la nuit en sa maison, et qu'ils l'étouffèrent en son lit : toutefois au moins trouva-t-on son corps tout étendu, que chacun put considérer à loisir, pour voir si l'on y trouverait quelque indice par lequel on pût conjecturer la manière dont il serait mort. Mais Romulus étant soudainement disparu , on ne trouva ni partie aucune de son corps, ni pièce quelconque de ses habillements. Et pourtant aucuns ont estimé que les sénateurs se ruèrent tous ensemble sur lui dans le temple de Vulcain, et qu'après l'avoir mis en pièces, chacun d'eux en emporta une dans le repli de sa robe. XLIV. Les autres pensent que cette disparition ne se fit ni dans le temple de Vulcain, ni en la présence des sénateurs seulement , mais disent que Romulus à l'heure était hors la ville, près du lieu qui s'appelle le Marais de la chèvre, là où il prêchait le peuple, et que tout soudain le temps se changea, et l'air se mua si horriblement, que l'on ne le saurait ni exprimer ni croire : car premièrement le soleil perdit entièrement sa lumière , comme s'il eût été nuit toute noire, et ces ténèbres ne furent pas douces ni tranquilles , mais y eut des tonnerres horribles, des vents impétueux, orages et tempêtes de tous côtés, qui firent fuir le menu peuple, et l'écartèrent çà et là, mais les sénateurs se serrèrent ensemble. Puis quand l'orage fut passé, le jour revenu clair, et le ciel serein comme devant, le peuple se rassembla, qui se mit à chercher le roi, et à demander qu'il était devenu, mais les seigneurs ne voulurent pas souffrir qu'ils en enquissent davantage, mais les admonestèrent de l'honorer et révérer comme celui qui avait été ravi au ciel, et qui désormais au lieu de bon roi leur serait dieu propice et favorable. Le menu populaire pour la plus grande partie prit cela en paiement, et fut tout réjoui d'entendre ces nouvelles, s'en alla adorant Romulus en son cœur avec bonne espérance : mais il y en eut quelques-uns qui, recherchant la vérité du fait âprement et aigrement, troublèrent fort les patriciens, leur mettant sus qu'ils abusaient la rude multitude de vaines et folles persuasions, et cependant que c'étaient eux-mêmes qui de leurs propres mains avaient occis le roi. XLV. Étant donc les choses en ce trouble, on dit qu'il y eut l'un des plus nobles patriciens, Julius Proculus, estimé fort homme de bien, et qui avait été grand ami familier de Romulus, étant venu de la ville d'Albe avec lui, lequel se présenta sur la place à tout le peuple, et affirma par les plus grands et les plus saints serments saurait faire, qu'il avait rencontré Romulus en son chemin, plus grand et plus beau qu'il ne l'avait oncques vu, armé à blanc d'armures claires et luisantes comme le feu, et que s'étant effrayé de le voir en tel état, il lui avait demandé : « Sire, pour quelle nôtre forfaiture, et à quelle intention nous as-tu laissés exposés aux fausses calomnies, et imputations iniques, dont nous sommes mécrus par ton département? et pourquoi as-tu abandonné ta ville orpheline en deuil infini ? » A quoi Romulus lui avait répondu : « Proculus, il a plu aux dieux, desquels j'étais venu, que je demeurasse entre les hommes, autant de temps comme j'y ai demeuré, et qu'après y avoir bâti une cité, qui en gloire et en grandeur d'empire sera une fois la première du monde, je m'en retournasse demeurer, comme devant, au ciel. Pourtant fais bonne chère, et dis aux Romains qu'en exerçant prouesse et tempérance, ils atteindront à la cime de puissance humaine : et quant à moi, je vous serai désormais dieu protecteur et patron, que vous appellerez Quirinus. » Ces paroles semblèrent croyables aux Romains, tant pour les mœurs de celui qui les disait, que pour le grand Serment qu'il avait fait, mais encore y eut-il ne sais quelle émotion céleste, semblable à une inspiration divine, qui y aida : car personne n'y contredit, mais tout soupçon et toute calomnie rejetée en .arrière, chacun se mit à invoquer, prier et adorer Quirinus. XLVI. Ces propos-là certainement ressemblent fort aux contes que les Grecs font d'Aristéas Proconnésien , et de Cléomède Astypaléen : car ils disent qu'Aristéas mourut en l'ouvroir (atelier) d'un foulon, et que ses amis vinrent pour enlever son corps, mais qu'on ne sut qu'il devint ; et que sur l'heure même il y eut quelques gens revenant des champs qui affirmèrent l'avoir rencontré et parlé à lui, et qu'il tenait le chemin de la ville de Crotone. Ils disent aussi que Cléomède fut homme de grandeur et de force outre nature, mais au demeurant furieux et insensé : car après avoir fait plusieurs autres violences, finalement il entra un jour dans une école pleine de petits enfants, dont le comble était soutenu avec un pilier, et qu'il frappa de sa main contre le pilier un si grand coup, qu'il le rompit par le milieu, tellement que toute la couverture tomba, qui froissa et tua tons les petits enfants. On courut incontinent après lui pour le prendre : mais il se jeta. dans un grand coffre, qu'il ferma sur lui, et tint le couvercle si ferme par le dedans, que plusieurs ensemble, qui se perforcèrent de l'ouvrir, n'y surent oncques rien faire : à raison de quoi ils rompirent tout le coffre, mais quand il fut en pièces, ils ne trouvèrent leur homme dans ni vif ni mort : dont ils furent fort étonnés, et envoyèrent devers Apollon Pythique, où la prophétesse leur répondit ce verset : Cléomède dernier des demi-dieux. XLVIL On dit aussi que le corps (l'Alcmène disparut, ainsi que l'on le portait en sépulture, et qu'en son lieu on trouva une pierre dans le lit. Bref les hommes racontent plusieurs autres telles merveilles, où il n'y a apparence quelconque de vérité, voulant déifier la nature humaine, et l'associer avec les dieux. Bien est-il vrai que ce serait lâchement et méchamment fait que de réprouver et nier la divinité de la vertu : mais aussi de vouloir mêler la terre avec le ciel, ce serait une grande sottise; Pourtant faut-il laisser là telles fables, étant chose toute assurée, que, comme dit Pindare, Il n'est point de corps qui ne meure : L'âme seule vive demeure, Image de l'éternité. car elle est venue du ciel, et là s'en retourne, non avec le corps, mais plutôt, lorsque plus elle est éloignée et séparée du corps, quand elle est nette, sainte, et qu'elle ne tient plus rien de la chair. C'est ce que voulait. dire le philosophe Héraclite„ quand il disait que la lumière sèche est la meilleure âme, qui s'envole hors du corps, ni plus ni moins que la foudre hors la nuée : mais celle qui 'est détrempée avec le corps, pleine de passions corporelles, est comme une vapeur grosse, pesante et ténébreuse, qui ne se peut enflammer ni élever. Pourtant n'est-il point besoin de vouloir envoyer, contre la nature, le corps des hommes vertueux, quand et leurs unes, au ciel : mais faut estimer et croire fermement que leurs vertus, et leurs âmes, selon nature et selon justice divine, deviennent d'hommes, saints; et de saints, demi-dieux; et de demi-dieux, après qu'ils sont parfaitement, comme aux sacrifices de purgation, nettoyés et purifiés, étant délivrés de toute passibilité et de toute mortalité, ils deviennent, non par aucune ordonnance civile, mais à la vérité et selon raison vraisemblable, dieux entiers et parfaits, en recevant une fin très heureuse et très glorieuse. XLVIII. Au demeurant, quant au surnom de Romulus, qui depuis fut appelé Quirinus, les uns disent qu'il signifie autant comme belliqueux : les autres tiennent qu'il fut ainsi appelé parce que les Romains mêmes s'appelèrent Quirites. Les autres écrivent que les anciens nommèrent la pointe d'une javeline, ou la javeline même, Quiris : à raison de quoi la statue de Junon surnommée Quiritide était assise dessus un fer de lance, et que la lance qui était consacrée au palais royal s'appelait Mars : davantage que l'on a accoutumé de donner par honneur à ceux qui font bien leur devoir en une bataille, une lance ou une javeline; et que, pour ces raisons, Romulus fut surnommé Quirinus, comme qui dirait dieu des armes et des batailles. Il lui a depuis été bâti un temple au mont qui de lui s'appelle Quirinalis : et le jour auquel il disparut se nomme la Fuite du peuple, ou autrement les Nones Capratines, parce que l'on va ce jour-là hors la ville sacrifier au lieu qui s'appelle le Marais de la chèvre, et les Romains appellent une chèvre capra : et en y allant ils ont accoutumé d'appeler à hauts cris plusieurs noms romains, comme Marcus, Cnéus, Caïus, en souvenance de la fuite qui fut adonc, et de ce qu'ils s'entr'appelèrent les uns les autres, fuyant en grande frayeur et en grand désarroi. [lu le 3 décembre 2014]
Caïus Julius César (De l’an 100 à l’an 44 avant J.-C.) On dit que, traversant les Alpes, et passant par une petite ville de Barbares et qui n’avait qu’un petit nombre de misérables habitants, à cette question que lui firent en riant et par plaisanterie ceux qui l’accompagnaient : « Serait-il bien possible qu’il y eût là aussi des brigues pour les charges, des rivalités pour le premier rang, des jalousies entre les citoyens les plus puissants ? » César répondit très-sérieusement : « J’aimerais mieux être le premier chez eux que le second dans Rome. » Pendant son séjour en Espagne, il lisait, un jour de loisir, quelque passage de l’histoire d’Alexandre ; il tomba, après sa lecture, dans une méditation profonde, puis il se mit à pleurer. Ses amis, étonnés, lui en demandèrent la cause. « N’est-ce pas, dit-il, un juste sujet de douleur, de voir qu’Alexandre, à l’âge où je suis, eût déjà conquis tant de royaumes, et que je n’aie encore rien fait de mémorable ? » À peine arrivé en Espagne il se mit à l’œuvre ; et en peu de jours il eut recruté dix cohortes, qu’il joignit aux vingt qu’il y avait trouvées. Il marcha contre les Calléciens et les Lusitaniens, les vainquit, et s’avança jusqu’à la mer extérieure, en subjuguant des nations qui n’avaient jamais été soumises aux Romains. [lu le 24 juillet 2019 dans https://fr.wikisource.org/wiki/Vies_des_hommes_illustres/Ca%C3%AFus_Julius_C%C3%A9sar]
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