Ovide
Né en - 47 à Sulmone en Italie centrale d'une riche et ancienne famille, Publius Ovidius Naso fit de brillantes études mais refusa toute carrière officielle pour se consacrer à la poésie à l'écart des groupes constitués, manifestant son tempérament original, sensuel, raffiné, libertin, son amour de la vie et des femmes, et son absence d'illusion sur son époque décadente. Auguste, qui voulait restaurer un ordre moral, l'exila en l'an 8 à Tomes, sur les bords de la mer Noire où il vécut ses neuf dernières années dans ce pays où presque personne ne parlait le latin.
Amours
Livre II, 19
Pauvre sot, si toi tu ne te soucies pas de surveiller
ta femme, fais-le pour moi: mieux gardée, elle serait plus désirable à mes
yeux! Un plaisir permis est sans charme; interdis-le, on brûle d'y goûter.
Il faut un cœur de bronze pour aimer quand on a
l'autorisation du mari! S'y connaître en amour, c'est apprécier la crainte
tout autant que l'espoir; quelques refus de temps à autre, rien de tel pour réveiller
le désir! A quoi bon un amour tranquille, sans nulle perfidie? Aimer qui jamais
ne me blesse? Je ne m'en soucie pas!
Corinne, la fine mouche, avait compris mon vice et
savait, la rusée, comment s'y prendre avec moi: que de migraines elle a prétextées
- toute fraîche et rose -, me priant de la laisser. Et je m'éloignais à
contrecœur, traînant les pieds... Que de torts ne m'a-t-elle pas inventés!
Que de fois, se sachant innocente, elle a pris des airs coupables... Voilà
comment, pour ranimer le feu et réchauffer la flamme, elle me tourmentait. Après,
douce et consentante, comme si de rien n'était. Que de baisers, alors! Et,
grands dieux, quels baisers!
De toi, nouvelle venue dans mon cœur, j'attends
aussi que tu aies recours à ces ruses. A
mes supplications, sache opposer un: "Non!". Laisse-moi, allongé
devant ta porte, souffrir du froid toute une nuit d'hiver... Seul moyen,
crois-moi, de voir mon amour grandir, s'affermir et durer. Voilà ce qui me plaît,
ce qui entretient mon désir.
Un amour paisible, trop facile, perd sa saveur; c'est
un mets trop sucré, qui donne mal au cœur. Si Danaé n'avait pas été
enfermée dans sa tour d'airain, Jupiter aurait-il voulu la rendre mère? En
faisant garder Io au front chargé de cornes, Junon la rendit plus aimable aux
yeux de Jupiter.
Vouloir ce qu'on peut avoir en toute liberté et sans
problème, c'est cueillir des feuilles dans la forêt, puiser de l'eau à la
rivière! Une femme veut-elle régner longtemps sur le cœur d'un amant? Qu'elle
se joue de lui! - Beau donneur de conseils, malheureux, tu travailles à ta
perte! - N'importe: la complaisance peut plaire à qui voudra; avec moi, la
complaisance a tort. Qui me suit, je le fuis; pour m'attacher, il faut me fuir.
Ainsi donc, toi, si sûr de ta jolie femme, il est
grand temps de fermer ta porte la nuit; grand temps de te demander qui vient y
frapper si souvent, si doucement; pourquoi tes chiens aboient dans la nuit
silencieuse; où vont et viennent toutes ces tablettes, dans les mains d'une
servante experte; et pourquoi, si souvent, ta femme fait chambre à part!
Je voudrais que ce souci te ronge un bon moment; que
tu nous donnes une occasion; une raison, de recourir à la ruse! Aimer la femme
d'un sot, c'est vraiment voler du sable dans le désert!
Je te préviens: si tu ne te mets pas à la
surveiller, bientôt, ta femme ne sera plus ma maîtresse! J'en ai trop supporté,
cela a trop duré: trop longtemps j'ai attendu que tu l'enfermes, j'ai espéré
le jour où je devrais mentir pour te tromper! Ah, que tu es lent! Tu supportes
ce qu'aucun mari ne supporterait. Tu m'autorises à l'aimer? alors je
mettrai fin à des amours par trop permises!
Je n'ai pas de chance: ainsi, jamais tu ne me
fermeras ta porte? Jamais tu ne me tomberas dessus, la nuit, pour te venger?
Aucun sujet de crainte? Aucune raison de soupirer dans mon sommeil? Aucun prétexte
pour souhaiter ta mort?
Qu'ai-je à faire d'un mari qui joue les
entremetteurs? Ta complaisance est un vice qui empoisonne mes plaisirs! Que ne
cherches-tu un autre amant pour elle, amateur, celui-là, de ton inénarrable
patience? Si tu veux que je reste ton rival, interdis-moi de l'être! ****
Les remèdes de
l'amour
18º Ne
pas imaginer que l'on a un rival Si Apollon, qui me sert de guide en ce travail, ne me trompe pas, un rival est la principale cause de nos tourments. Donc, toi, ne va pas te figurer que tu en as un et crois que ton amie couche seule dans son lit. Si Oreste ressentit pour Hermione un amour plus vif, c'est qu'elle avait appartenu d'abord à un autre homme. Pourquoi te plaindre, Ménélas? Tu allais en Crète sans ta femme et tu pouvais quitter tranquillement celle que tu avais épousée; mais Pâris l'enlève et voilà que tu ne peux te passer de ta femme: l'amour d'un autre a augmenté le tien. |