Accueil du site

Anthologie littéraire

Index de l'anthologie

Système philosophique Dossiers d'informations

L'anthologiste

Cont@ct

 

 

Marius Jacob

 

 

Alexandre  Marius Jacob est né à Marseille, 29 septembre 1879 est un anarchiste illégaliste français; il s'est suicidé à Reuilly le 28 août 1954  .

 

 

Souvenirs d'un révolté (2005)

 

- Mais, puisque vous veniez de commettre un vol, me dit le député, il était tout naturel que les agents vous arrêtassent.

- Le naturel n’a rien à faire dans la question, lui dis-je. Dites plutôt leur avantage.

- Ils ont obéi à la loi.

- D’accord ; mais pour eux la loi est un avantage.

- Non ; c’est un devoir ; devoir pour tous les citoyens, du reste.

- Des mots que cela !

- Comment ! des mots ?

- Oui… des mots… des mots pleins de sophisme, ajoutai-je en haussant les épaules. Si les animaux avaient la parole, nous entendrions l’âne parler paille, le cheval avoine, le porc pomme de terre au même titre, pour la même raison, pour mieux dire, que le militaire parle consigne pour tuer, le prêtre religion pour tromper, le geôlier règlement pour torturer, le policer et le magistrat loi : l’un pour arrêter, l’autre pour condamner. Et les uns et les autres ils en vivent, ils s’en repaissent. Le rentier, le propriétaire, le commerçant, l’industriel, tout capitaliste enfin parlent aussi loi, pour voler. Que cette poignée de fripons aiment, chérissent la loi ; qu’ils s’en gargarisent la bouche avec emphase et béatitude, cela s’explique, cela est dans l’ordre de votre société pourrie, puisque la loi est faite par eux et pour eux. Elle est le râtelier des uns et le bouclier des autres.

- Erreur ! M’interrompit M. Canache. L’égalité sert de principe à la loi. Qu’un riche vienne à commettre un délit, un crime ? Il sera tout aussi bien puni qu’un pauvre…

- La bonne blague ! « Qu’un riche vienne à commettre un délit. » Mais, monsieur, lui répondis-je, les riches n’ont pas à commettre de délits, de crimes, puisqu’ils volent, qu’ils tuent avec l’appui des lois, légalement. Ils ne cambriolent pas, eux, ils commercent, ils agiotent ; ils n’ont pas à défendre leur liberté contre l’agression d’agents du pouvoir, puisqu’ils sont le pouvoir et que leurs valets les protègent au lieu de les attaquer. Ils ne tuent pas deux agents de police, ils exterminent patriotiquement des milliers de prolétaires. La loi n’atteint donc pas le riche, sa fortune la domine. Être riche, c’est être honnête…

- Il est vrai que les riches n’ont pas grand mérite à être vertueux… dit Me Ternois.

- Vous dites que la loi a pour principe l’égalité ! Repris-je en m’adressant au député. Mais, monsieur, les faits sont là pour démentir votre assertion. Exemple : un escroc ganté et en haut-de-forme, un financier pour l’appeler par son nom, ruine mille pères de famille en les détroussant de leurs modestes économies. Mais malin, et surtout ne l’oublions pas ! Honnête : au lieu de faire banqueroute, il liquide dans les formes prévues par la loi et empoche un million. C’est un honnête homme. Un pauvre bougre qui, poussé par le besoin, commet un acte de révolte, en cambriolant dix francs à un riche, avec les circonstances aggravantes, est condamné aux travaux forcés, au bagne. C’est un bandit. À l’un les plaisirs, la richesse et le pouvoir. À l’autre la souffrance, la misère et l’infamie. Bien plus. L’honnête homme peut-être nommé juré et envoyer au bagne le bandit. Quelle belle justice ! Ô égalité des égalités !

- Mais voyons ; il faut des lois pourtant, m’interrompit M. Callet qui n’avait encore rien dit jusque là. Sans lois il n’y a pas de société possible.

- Oui ! Une société comme la vôtre composée de coquins et d’imbéciles : je suis de votre avis. Comme je viens de vous le dire, je comprends que les uns aient besoin de la loi pour opprimer les autres. La loi est leur sauvegarde. Mais pour moi qui ne suis ni maître ni valet, ni fripon ni dupe, mais un révolté qui sait voir clair dans les ténébreux rouages de votre société, pour moi, dis-je, la loi n’est qu’une peste, qu’un choléra ; et bien loin de la respecter, je la combats comme l’on combat la peste, comme l’on combat le choléra : par tous les moyens, même les plus violents.

- Malheureusement, c’est ce que vous avez fait, me dit M. Callet en se frisant les moustaches… Je dis malheureusement pour vos victimes, reprit-il aussitôt en scandant sur chaque mot et en accompagnant sa phrase d’un battement de mesure avec son doigt, comme un chef d’orchestre en pénurie de baguette.

- Ceux que vous appelez mes victimes n’avaient qu’à ne pas venir m’attaquer. Défenseurs de la propriété, chiens de garde des riches, ils sont venus après mes trousses et pour me défendre il m’a fallu les tuer. Tant pis pour eux. Ce sont des imbéciles.

Un « Ho ! » d’indignation s’échappa de la plupart de ces honnêtes lèvres comme pour dire : « Quel monstre ! »

[Lu le lundi 21 août 2017 sur http://www.non-fides.fr/?Souvenirs-d-un-revolte]