Homère

 

 

Homère est le fondateur quasi-mythique de la littérature grecque. Auteur aveugle, lui sont attribuées la rédaction de ces deux récits en vingt-quatre chants que sont l'Iliade et l'Odyssée. Le premier narre la guerre que ces Européens que sont les Grecs vont mener contre ces Asiatiques que sont les Turcs, afin de récupérer l'épouse qui a été ravie à l'un de leurs chefs. Et l'Odyssée narre le difficile et périlleux retour de la guerre d'un de ces chefs grecs, Ulysse, sur son île, Ithaque.

 

 

L'Iliade

Chant I: "La peste: - La colère d'Achille." "Achille convoque l'assemblée; Calchas révèle la cause du mal et son remède"

Trop fort est en effet un prince, quand il s'irrite contre un inférieur; en admettant que, le jour même, il digère sa bile, par derrière il garde encore sa rancune, jusqu'à ce qu'il l'assouvisse, en sa poitrine. Dis-moi donc, toi, si tu me sauveras.

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"Querelle d'Agamemnon et d'Achille"

De toi je ne me soucie pas, ni ne m'inquiète de ta colère. Et voici ma menace: puisque Phébus Apollon m'enlève Chryséis, elle, avec mon vaisseau et mes compagnons, je la renverrai; mais j'emmènerai Briséis aux belles joues, en allant moi-même à ta baraque; Briséis, ta récompense; pour que tu saches bien à quel point je l'emporte sur toi, et qu'aussi un autre se garde de se dire mon égal, et de se faire, en face, semblable à moi.

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"Inutile entremise de Nestor"

Toi, Atride, calme ta fureur; c'est moi qui te supplie d'apaiser ta bile contre Achille, grand rempart de tous les Achéens dans une guerre dangereuse."

Le puissant Agamemnon répondit:

"Oui, tout ce que tu dis, vieillard, est dans l'ordre; mais cet homme veut être au-dessus de tous, il veut l'emporter sur tous, régner sur tous, commander à tous! Je sais quelqu'un qui n'obéira pas. Si les dieux éternels l'ont fait vaillant piquier, l'invitent-ils pour cela à proférer des outrages?"

Le divin Achille l'interrompit:

"Certes, on m'appellerait misérable et vil, si je te cédais en tout ce que tu peux dire. Donne tes ordres à d'autres. Pour moi, ne me commande pas: car je ne pense plus t'obéir. Encore un mot pourtant, et mets-le au fond de ton âme. Mes bras ne te combattront pas pour cette femme, ni toi, ni un autre, puisque vous m'enlevez ce que vous m'aviez donné. Mais les autres biens que j'ai, près de mon fin vaisseau noir, tu ne saurais rien en prendre ni en emporter malgré moi. Allons, essaie-le donc, pour que ceux-ci aussi soient fixés: aussitôt ton sang noir jaillira autour de ma lance."

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"Agamemnon renvoie Chryseis à Chrysès, mais fait enlever Briséis à Achille"

Eux donc, ayant embarqué, suivirent les routes liquides. Quant aux troupes, l'Atride leur ordonna de se purifier. Elles se purifièrent, jetèrent à la mer leurs souillures, offrirent à Apollon des hécatombes sans défaut de taureaux et de chèvres, sur les dunes de la mer stérile; et l'odeur de la graisse monta vers le ciel, en tourbillons, avec la fumée.

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"Chryseis arrive dans sa patrie"

"Chrysès, Agamemnon, roi de guerriers, m'a envoyé pour t'amener ton enfant, et sacrifier à Phébus une hécatombe sacrée en faveur des Danaens, afin d'apaiser ce Roi; qui, maintenant, envoie aux Argiens des deuils lamentables."

Ce disant, il mit la jeune fille entre les mains du prêtre, qui reçut avec joie son enfant. Ils se hâtèrent alors de ranger, pour le dieu, la magnifique hécatombe autour de l'autel bien construit. Puis ils se lavèrent les mains et prirent l'orge non moulue; et Chrysès pria pour eux à haute voix, les mains levées:

"Écoute-moi, archer à l'arc d'argent, qui veilles autour de Chrysè et de la divine Cilla, roi souverain de Ténédos. Une fois déjà tu as écouté ma prière, et tu m'as honoré, tu as frappé grandement les troupes achéennes; de même, maintenant encore, accomplis mon vœu: dès maintenant, écarte des Danaens le fléau affreux."

Telle fut sa prière, et Phébus Apollon l'entendit.

Après avoir prié répandu l'orge non moulue, ils tirèrent vers le ciel la tête des victimes, les égorgèrent, les écorchèrent; ils coupèrent les cuisses, les enveloppèrent d'une couche de graisse repliée, et mirent sur elles des morceaux de chair crue. Le vieillard les brûla sur du bois fendu, et, dessus, versa du vin flamboyant. Des jeunes gens, près de lui, tenaient les fourchettes à cinq dents. Quand les cuisses furent consumées et qu'ils eurent mangé les entrailles, ils dépecèrent le reste des victimes, embrochèrent les morceaux, les firent rôtir habilement, puis retirèrent le tout. Alors, ayant cessé leur ouvrage et préparé le banquet, ils banquèrent; et le désir ne leur manquait; et le désir ne leur manquait pas du banquet où tous sont égaux.

Quand ils eurent satisfait la faim et la soif, des jeunes gens remplirent les cratères jusqu'à la couronne de leur bord, et distribuèrent la boisson à tous, en faisant d'abord une libation avec chaque coupe. Tout le jour, par des chants et des danses, ils s'efforcèrent d'apaiser le dieu, en exécutant un beau péan, les jeunes Achéens, et en célébrant Celui qui protège de loin; et lui se plaisait à les entendre.

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Chant II: "Le Songe: - La Boétie ou Catalogue des vaisseaux." "Le peuple se prépare à partir"

Allons donc, l'avis que je vais donner, suivons-le tous. Fuyons avec nos vaisseaux vers la terre de nos pères; car nous ne prendrons plus Troie aux larges rues."

Par ces paroles, il émut, dans leur pitrine, le cœur de tous les hommes de la foule qui n'avaient pas assisté au conseil. L'assemblée s'agita comme les longues vagues de la mer, de la haute mer d'Icare, que l'Euros et le Notos soulèvent à la fois, quand ils fondent sur elle des nuages de Zeus le père. Comme l'arrivée du Zéphyre agite une moisson profonde, quand il s'élance avec violence et en incline les épis, ainsi toute l'assemblée s'agita. A grands cris, ils s'élançaient vers les vaisseaux, et, sous leurs pieds, la poussière se dressait, soulevée. Ils s'excitaient les uns les autres à empoigner les vaisseaux et à les tirer tirer à la mer divine; ils nettoyaient les glissières; leurs cris montaient au ciel, dans leur désir de rentrer chez eux; et ils enlevaient les étais des navires.

 

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L'Odyssée

"Ouverture"

Chant I

"L'assemblée des dieux"

Or le Père des dieux et des hommes pensait à l'éminent Egisthe, immolé par Oreste, ce fils d'Agamemnon dont tous chantaient la gloire.

Plein de ce souvenir, Zeus dit aux Immortels:

Zeus: - Ah! Misère!... Écoutez les mortels mettre en cause les dieux! C'est de nous, disent-ils, que leur viennent les maux, quand eux, en vérité, par leur propre sottise, aggravent les malheurs assignés par le sort. Tel encore cet Egisthe! pour aggraver le sort, il voulut épouser la femme de l'Atride et tuer le héros sitôt qu'il rentrerait. La mort était sur lui: il le savait; nous-mêmes, nous l'avions averti et, par l'envoi d'Hermès, le guetteur rayonnant, nous l'avions détourné de courtiser l'épouse et de tuer le roi, ou l'Atride en son fils trouverait un vengeur, quand Oreste grandi regretterait sa terre. Hermès, bon conseiller, parla suivant nos ordres. Mais rien ne put fléchir les sentiments d'Égisthe. Maintenant, d'un seul coup, il vient de tout payer!

Athéna, la déesse aux yeux pers, répliqua:

Athéna: - Fils de Cronos, mon père, suprême Majesté, celui-là n'est tombé que d'une mort trop juste, et meure comme lui qui voudrait l'imiter!

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"Le voyage de Télémaque"

Chant III

"A Lacédémone"

Debout près de la vache et prêt à la frapper, Thrasymède, à l'ardeur batailleuse, tenait une hache affilée, et Perseus avait pris le vase pour le sang.

Nestor, le vieux meneur de chevaux, répandit l'eau lustrale et les orges, puis il fit à Pallas une longue prière et, comme il prélevait quelques poils de la tête qu'il lançait dans le feu, l'assistance en priant jeta les pincées d'orge.

Déjà, faisant un pas, le bouillant Nestoride Thrasymède a frappé, et la hache a tranché les tendons cervicaux: la bête tombe inerte, sous les clameurs sacrées des filles et des brus et de la vieille reine. Eurydice, l'aînée des filles de Clymène. Fils et gendres alors, saisissant la victime, la lèvent au-dessus du sol aux larges voies; le meneur des guerriers, Pisistrate, l'égorge: dans le flot du sang noir, l'âme quitte les os. On dépèce à la hâte; selon le rite, on détache les quatre membres; on les couvre de graisse sur l'une et l'autre face; on empile, dessus, d'autres morceaux saignants. Nestor, les ayant mis à brûler sur les bûches, fais sa libation d'un vin aux sombres feux. La jeunesse l'entoure en tenant à la main les quintuples brochettes. Puis, les cuisseaux brûlés, on goûte des grillades et, découpant menu le reste de la bête, on le met à rôtir au bout des longues broches que l'on tient à deux mains.

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Chant VII

Alkinoos: - Mon hôte! notre enfant n'oublia qu'un devoir: ses femmes étaient là; pourquoi ne pas t'avoir conduit jusque chez nous?... C'est elle qu'en premier, tu avais implorée.

Ulysse l'avisé lui fit cette réponse:

Ulysse: - En tout cela, seigneur, ta fille est sans reproche; ne va pas la blâmer. Elle m'avait offert d'accompagner ses femmes; c'est moi qui refusai. J'avais peur, j'avais honte: à ma vue, si ton cœur allait se courroucer!... en ce monde, la jalousie est chose humaine.

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Chant VIII

Mais, tandis que chantait le glorieux aède, Ulysse faiblissait: les larmes inondaient ses joues sous ses paupières. La femme pleure ainsi, jetée sur son époux, quand il tombe au-devant des murs et de son peuple, pour écarter de sa cité, de ses enfants, la journée sans merci; elle le voit qui meurt, qui déjà se convulse; elle s'attache à lui, et crie, et se lamente, et voici, dans son dos, les lances ennemies qui viennent lui tailler la nuque et les épaules! et voici l'esclavage et ses dures misères! et les affres du deuil lui ravagent les joues. Tels, les pleurs de pitié tombaient des yeux d'Ulysse.

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Chant VIII

Oui! là-bas, Calypso, au creux de ses cavernes, m'enfermait et brûlait, cette toute divine, de m'avoir pour époux; au manoir d'Aiaié, la perfide Circé voulait pareillement me garder pour époux! Jamais, au fond de moi, mon cœur ne consentit. Oh! non, rien n'est plus doux que patrie et parents; dans l'exil, à quoi bon la plus riche demeure, parmi des étrangers et loin de ses parents?

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Chant X

Éole, tout un mois, me traite et m'interroge, car il veut tout connaître, la prise d'Ilion, la flotte et le retour des Achéens d'Argos, et moi, de bout en bout, point par point, je raconte.

Quand, voulant repartir, à mon tour je le prie à mon tour de me remettre en route, il a même obligeance à me rapatrier. Il écorche un taureau de neuf ans; dans la peau, il coud toutes les aires des vents impétueux, car le fils de Cronos l'en a fait régisseur: à son plaisir, il les excite ou les apaise. Il me donne ce sac, dont la tresse d'argent luisante ne laissait passer aucune brise; il s'en vient l'attacher au creux de mon navire; puis il me fait souffler l'haleine d'un zéphyr, qui doit, gens et vaisseaux, nous porter au logis... Hélas! avant le terme, la folie de mes gens allait nous perdre encore;

Durant neuf jours, neuf nuits, nous voguons sans relâche. Voici que, le dixième, apparaissaient enfin les champs de la patrie; nous étions si près qu'on en voyait les feux et les hommes autour. Mais il me vient un doux sommeil; j'étais brisé: c'était moi qui, toujours, avais tenu l'écoute, sans jamais la céder à quelqu'un de mes gens; j'avais un tel désir d'arriver au pays!... Mon équipage alors se met à discourir: ce que j'ai dans ce sac, - pensent-ils, - les cadeaux de ce fils d'Hippotès, de ce grand cœur d'Éole, c'est de l'or, de l'argent! Se tournant l'un vers l'autre, ils se disent entre eux:

Le Chœur: - Misère! en voilà un que, toujours et partout, on aime et l'on respecte, en quelque ville et terre qu'il puisse bien aller! il ramenait déjà de Troie sa belle charge de butin précieux, alors que nous, au bout de ce même voyage, n'avions pour revenir au logis que mains vides... Et voyez ce qu'il vient de recevoir encore, pour avoir su gagner le cœur de cet Éole!... Allons, vite! il faut voir ce que sont ces cadeaux.

Sitôt dit, on se range à cet avis funeste. Le sac est délié: tous les vents s'en échappent, et soudain la rafale entraîne mes vaisseaux et les ramène au large; mes gens en pleurs voyaient s'éloigner la patrie!... Moi, je m'éveille alors et mon cœur sans reproche ne sait que décider: me jeter du vaisseau, chercher la mort en mer, ou pâtir en silence et conserver la vie?... Ma foi, je tins le coup: roulé dans mon manteau, je m'étendis à bord, tandis que, ramenés par ce vent de malheur jusqu'en l'île d'Éole, mes gens se lamentaient.