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L'anthologiste

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Hésiode

 

Hésiode a vécu au milieu du VIIIe siècle avant Jésus Christ à Ascra, en Béotie. Moraliste, il fut un précurseur de Virgile et s'illustra avec un poème de 1022 vers, la Théogonie. Il écrivit aussi Les Travaux et les Jours relativement à un conflit d'héritage avec son frère.

 

Les Travaux et les Jours

On ne voit pas régner sur la terre une seule rivalité ; il en existe deux : l'une digne des éloges du sage, l'autre de son blâme ; toutes deux animées d'un esprit différent. L'une excite la guerre désastreuse et la discorde ; la cruelle ! nul homme ne la chérit, mais tous, d'après la volonté des dieux, sont contraints de l'honorer en la haïssant. L'autre, c'est la Nuit obscure qui l'enfanta la première, et le grand fils de Saturne, habitant au sommet des cieux, la plaça sur les racines mêmes de la terre pour qu'elle vécût parmi les humains et leur devînt utile. Elle pousse au travail le mortel le plus indolent. L'homme oisif, qui jette les yeux sur un homme riche, s'empresse à son tour de labourer, de planter, de gouverner avec ordre sa maison ; le voisin est jaloux du voisin qui tâche de s'enrichir. Cette rivalité est pour les mortels une source de biens. Ainsi le potier envie le potier, l'artisan à l'artisan, le mendiant au mendiant et le chanteur au chanteur.

O Persès ! grave bien ces conseils au fond de ton âme : que l'envie, joyeuse des maux d'autrui, ne te détourne pas du travail ; ne regarde pas les procès d'un œil curieux et n'écoute pas les plaideurs sur la place publique. On n'a que peu de temps à perdre dans les querelles et dans les contestations lorsque, pendant la saison propice, on n'a point amassé pour toute l'année les fruits que produit la terre et que prodigue Cérès. Rassasié de ces fruits, tu pourras alors envier et disputer aux autres leurs richesses. Mais non , il ne te sera plus permis d'agir ainsi. Terminons enfin notre procès par d'équitables jugements émanés de la bonté de Jupiter. Déjà nous avons partagé notre héritage, et tu m'as arraché la plus forte part dans l'espoir de corrompre ces rois, dévorateurs de présents, qui veulent juger notre querelle. Les insensés ! ils ignorent que souvent la moitié vaut mieux que le tout et combien il y a d'avantages à se nourrir de mauve et d'asphodèle. En effet, les dieux cachèrent aux mortels le secret d'une vie frugale. Autrement le travail d'un seul jour suffirait pour te procurer les moyens de subsister une année entière, même en restant oisif. Tu suspendrais soudain le gouvernail au-dessus de la fumée et tu laisserais reposer tes bœufs et tes mulets laborieux. Mais Jupiter nous déroba ce secret, furieux dans son âme d'avoir été trompé par l'astucieux Prométhée. Voilà pourquoi il condamna les hommes aux soucis et aux tourments. Il leur avait caché le feu ; mais le noble fils de Japet, par un adroit larcin, le leur apporta dans la tige d'une férule, après l'avoir enlevé au prudent Jupiter qui aime à lancer la foudre.

[Lu la 14780e journée, mardi 15 février 2011]

 

 

 

Théogonie ou La Naissance des Dieux

Elle leur dit, cherchant à leur donner courage dans la tristesse de son cœur:

"O mes enfants - les miens, mais aussi ceux d'un père d'une présomption folle -, si vous le voulez bien,

laissez-vous persuader; peut-être qu'à ce père nous pourrions faire payer ces sévices mauvais,

bien qu'il soit votre père: c'est lui qui, le premier, a eu l'idée d'œuvrer en toute malséance."

Ainsi parla-t-elle; et les autres furent tous saisis de peur. Pas un d'entre eux

ne souffla mot. Enfin, prenant courage, le grand Cronos aux idées retorses

trouva soudain quel langage tenir en réplique à sa noble mère:

"O mère, pour ma part, peut-être ce que tu dis - oui, je m'y engage, je pourrais l'accomplir,

cette œuvre-là. Car d'un père qui, oui, porte si mal ce nom, je ne me soucie pas,

bien qu'il soit notre père: c'est lui qui, le premier, a eu l'idée d'œuvrer en toute malséance."

(vers 163-172)

*

Et ceux-là, le grand Cronos les avalait tout ronds, sitôt que chacun,

quittant les entrailles sacrées de sa mère, arrivait à ses genoux

- cela, avec cette pensée en tête: qu'aucun des admirables descendants du Ciel,

que personne d'autre que lui, parmi les immortels, ne détînt les honneurs royaux.

Il tenait en effet de la Terre et du Ciel étoilé

qu'il devait fatalement, soumis à son propre fils, se retrouver dompté,

tout puissant qu'il était - en vertu des vouloirs du grand Zeus.

Aussi ne montait-il pas la garde en aveugle, mais, toujours aux aguets,

il avalait tout rond ses propres enfants. Et Rhèiè, à son deuil, ne trouvait pas d'oubli.

Mais au moment où c'était Zeus, père des dieux et des hommes,

qu'elle allait enfanter, là voilà qui, alors, suppliait ses parents

(ses parents à elle: la Terre et le Ciel étoilé)

de réfléchir avec elle à une idée qui pût l'aider à se faire oublier un moment

d'enfanter son fils - et à faire payer le prix dû aux Érinyes de son père

et des enfants qu'avalait tout rond le grand Cronos aux idées retorses.

Eux, à bien écouter leur fille, se laissaient convaincre:

ils lui expliquèrent tout ce qui devait fatalement advenir

concernant le roi Cronos et son fils, cet être plein de de puissance.

Ils l'envoyèrent à Lyctos, au gras pays Crète,

au moment où elle allait enfanter, bon cadet, le dernier de ses enfants,

le grand Zeus. Celui-là, pour elle, c'est l'énorme Terre qui le reçut,

dans la vaste Crète, pour l'élever et le dorloter.

C'est là qu'elle était arrivée, quand elle l'emportait à travers la nuit noire, rapide:

d'abord à Lyctos. Et elle le cacha, le prenant dans ses mains,

dans une grotte gigantesque, au fond des cachettes de la terre divine,

dans le mont Égéon, sous l'épais couvert de ses forêts.

Puis, à l'autre: emmaillotant une grande pierre, elle la remit

au fils du Ciel, au grand maître et seigneur, au roi des premiers dieux.

C'est celle-ci qu'alors il saisit de ses mains et mit en sûreté au fond de ses entrailles,

le misérable! sans même s'apercevoir ni penser qu'il avait derrière lui, désormais,

(au lieu de la pierre) son propre fils invincible et à l'abri de tout chagrin:

il lui restait; c'est lui qui allait bientôt, le domptant de vive violence et de ses mains,

le chasser, l'arracher à ses honneurs: être lui-même à l'avenir à venir maître et seigneur parmi les immortels.

Or c'est bien vite, ensuite, que la force ardente et les membres glorieux

de ce maître et seigneur grandissaient; et, avec le retour de l'année,

sur les suggestions longuement méditées de la Terre, victime de leur ruse,

il recracha sa progéniture, le grand Cronos aux idées retorses,

vaincu par le savoir-faire et la violence de son propre fils!

(Vers 459-496)