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Sommaire de l'anthologie

L'anthologiste

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Julien Green

 

Julien Green, né le 6 septembre 1900 à Paris. Après la mort de sa mère, pieuse protestante il se convertit au catholicisme en 1916, à la suite de son père et de plusieurs de ses sœurs.  Il est mort le 13 août 1998 à Paris.

 

Si j'étais vous... (1947, 1970)

Préface (1970)

A mesure qu'on avance en âge, ce désir bizarre de déménager corps et âme s'atténue. Si peu satisfait du personnage qu'on joue dans le monde, on se méfie de ce que cache la tranquillité apparente du voisin. Car, dans toute vie humaine, il y a un drame, et la plupart du temps il demeure secret. Derrière cette façade sereine, que de difficultés nous n'entrevoyons même pas, quand ce ne serait que l'insondable ennui dont Bossuet nous parle en connaisseur! Le plus sage est de s'accepter soi-même, tel qu'on est, avec les humiliantes limites qui dérivent de la faute originelle.

[Lu le mardi 27 février 2007, édition Fayard, 1993, p. 13]

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Avant-propos (1947)

Deux races d'hommes réussissent le genre d'évasion dont je parle : les poètes, parmi lesquels je range les romanciers, et les mystiques. Grosso modo, et avec toutes les réserves à faire sur de telles simplifications, on pourrait dire que les poètes s'échappent de leur moi en le transformant, et les mystiques en oubliant que ce moi existe. Une partie de notre tristesse vient de ce que nous sommes perpétuellement les mêmes, de ce que chaque matin nous nous réveillons avec le même problème à résoudre, qui est de savoir comment nous supporter nous-mêmes jusqu'au soir, et jusqu'à la mort. En faisant usage de cette idée dans les pages qu'on va lire, j'ai évité de donner une couleur philosophique à mon récit, que j'ai cherché à rendre d'autant plus précis qu'il est fantastique et dont l'action se passe dans une ville du nord de la France, vers 1920. Si je voulais résumer d'un seul mot le sujet de ce livre, je dirais peut-être que c'est l'angoisse, la double angoisse de ne pouvoir échapper ni à son destin particulier, ni à la dure nécessité de la mort, et de se trouver seul dans un univers incompréhensible.

[Lu le mardi 27 février 2007, édition Fayard, 1993, p. 15]

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Première partie

Chapitre VII

Rien qu'à la voir marcher on devinait l'opinion qu'elle nourrissait d'elle-même, car elle avançait avec un dandinement plein de suffisance et il y avait dans ses attitudes une sorte de provocation naïve qui n'eût semblé risible qu'à un observateur désintéressé. Ce manque de subtilité était précisément ce qui agissait sans faillir sur les hommes à qui elle désirait plaire, et elle se moquait bien de faire pâtir les autres.

[Lu le jeudi 1er mars 2007, édition Fayard, 1993, p. 111]