Jean de la Fontaine
Né le 8 juillet 1621, mort le 13 avril 1695.
Les Animaux malades de la peste Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom), Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, Faisait aux Animaux la Guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés: On n'en voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie; Nul mets n'excitait leur envie; Ni loups ni renards n'épiaient La douce et l'innocente proie; Les tourterelles se fuyaient: Plus d'amour, partant plus de joie. Le Lion tint conseil, et dit: "Mes chers amis, Je crois que le Ciel a permis Pour nos péchés cette infortune. Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux; Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents, On fait de pareils dévouements. Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence L'état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant des appétits gloutons, J'ai dévoré force moutons. Que m'avaient-ils fait? Nulle offense; Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le berger. Je me dévouerai donc, s'il le faut: mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi: Car on doit souhaiter, selon toute justice, Que le plus coupable périsse. - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi; Vos scrupules font voir trop de délicatesse. Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur, En les croquant, beaucoup d'honneur; Et quant au berger, l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Étant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire." Ainsi dit le Renard; et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient de petits saints. L'Âne vint à son tour, et dit: "J'ai souvenance Qu'en un pré de moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense, Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit puisqu'il faut parler net." A ces mots, on cria haro sur le Baudet. Un Loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
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Le Renard et les Poulets d'Inde Pendant que nul dindon n'eût osé sommeiller: L'ennemi les lassait en leur tenant la vue Sur même objet toujours tendue [...] [...] Le trop d'attention qu'on a pour le danger Fait le plus souvent qu'on y tombe.
Le
Loup et l'Agneau
"Qui
te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:
Tu seras
châtié de ta témérité.
-
Sire, répond
l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle:
Et
que, par conséquent, en
aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
-
Tu la troubles, reprit cette bête
cruelle;
Et
je sais que de moi tu médis l'an
passé.
-
Comment l'aurois-je fait, si je n'étois pas né?
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère.
-
Si
ce n'est toi, c'est donc ton frère.
-
Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens:
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On
me l'a dit: il faut que je me
venge."
[Lu
le jeudi 15 septembre 2005]
L'Aigle
et le Hibou
Le
hibou repartit: "Mes petits sont mignons,
Beaux,
bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons.
Vous
les reconnaîtrez sans
peine
à cette marque.
N'allez
pas l'oublier; retenez-la si bien
Que chez moi la maudite Parque
N'entre point par votre moyen."
Il
avint qu'au hibou Dieu donna géniture:
De
façon qu'un beau soir qu'il
était en pâture,
Notre aigle aperçut d'aventure,
Dans les coins d'une roche dure,
Ou dans les trous d'une masure
(Je ne sais pas lequel des deux),
De petits monstres fort hideux,
Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.
"Ces
enfants ne sont pas, dit l'aigle,
à notre
ami:
Croquons-les."
Le galant n'en fit pas
à demi.
Ses
repas ne sont point repas
à la légère.
Le
hibou de retour ne trouve que les pieds
De
ses chers nourrissons, hélas! pour
toute chose.
Il
se plaint, et les dieux sont par lui suppliés
De
punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un
lui dit alors: "N'en accuse que toi,
Ou plutôt
la
commune loi
Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.
Tu
fis de tes enfants
à l'aigle
ce portrait:
En avaient-ils le moindre trait?"
[Lu
le jeudi 15 septembre 2005]
Le Héron
Ne soyons pas si difficiles:
Les
plus
accommodants, ce sont
les plus habiles:
On
hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,
Surtout
quand vous avez
à peu près votre compte.
[Lu
le jeudi 15 septembre 2005]
Les
Vautours et les Pigeons
Peu
de prudence eurent les pauvres gens
D'accommoder
un peuple si sauvage.
Tenez
toujours divisés les méchants:
La
sûreté du reste
de la terre
Dépend de là. Semez
entre eux la guerre,
Ou
vous n'aurez avec eux nulle paix.
[Lu
le jeudi 15 septembre 2005]
Le Cochon, la Chèvre et le Mouton
Quand le mal est certain,
La
plainte ni la peur ne changent le destin;
Et
le moins prévoyant est
toujours le plus sage. [Lu le jeudi 15 septembre 2005]
Conseil tenu par les rats Ne faut-il que délibérer, La cour en conseillers foisonne ; Est-il besoin d'exécuter, L'on ne rencontre plus personne. [Lu le jeudi 7 mai 2020 http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/conseilrats.htm] |