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Pascal Fioretto

 

 

Pascal Fioretto est né le 30 avril 1962 à Saint-Etienne..

 

Un condamné à rire s'est échappé (2014)

Chapitre : Peignoir

Un jour, j'ai reçu une lettre de mon ami Louis, depuis longtemps perdu de vue. Il m'écrivait : «J'ai rencontré notre amie commune : Hélène. Elle m'a donné ton adresse et m'a appris que tu écris pour | Laurent Gerra. C'est incroyable parce que je ne rate jamais sa chronique. Tous les matins, à neuf heures moins le quart, je suis coincé dans les embouteillages et je vois les automobilistes, autour de moi, secoués de rire à leur volant. Heureusement que vous êtes là, vous les comiques, vous nous aidez à tenir...»

J'ai lu et relu plusieurs fois cette lettre, et l'image des gens enfermés dans leurs voitures, prisonniers des embouteillages rigolant en même temps, tous les matins, à la même heure, s'est mise à me hanter. S'ils n'avaient pas été pliés de rire dans le trafic, nos auditeurs n'auraient-ils pas changé le monde, leur vie ou, au moins, de trajet? Moi qui avais toujours pensé que l'humour était un moyen de rendre la vie tolérable, j'ai commencé à me demander s'il n'était pas plutôt un artifice pour s'empêcher de la vivre.

[Lu le vendredi 24 août 2023, Plon Pocket, p. 15]

 

Chapitre : Le trésor de la gestapo

Nous recevons, dimanche, la visite de B. Cela ne pouvait pas mieux tomber puisque B. est un copain écrivain, du genre de ceux qui prennent la littérature (qu'il prononce «littératchure») très au sérieux, et même, si j'en crois une interview récente, carrément «à bras-le-corps». Je l'ai surnommé «B. le pur» car il est entré en écriture comme on entre en religion et a décidé, une fois pour toutes, qu'il écrirait des livres «utiles au monde ». Depuis, il produit, abondamment, des romans à thèse qu'il « défend» partout où l'on croise des lecteurs, des | écrivains et, si possible, des journalistes. Forcément, B. supporte assez mal tous ses confrères (trop creux, trop couards, trop conformistes), mais il me tolère néanmoins parce qu'il croit que mes pastiches sont des règlements de comptes envers ceux qui vendent plus de livres que lui (B. vend peu, ce qui le confirme dans l'idée que ce qu'il écrit dérange). Je n'ai jamais pris la peine de le détromper car il est difficile de s'expliquer avec B. Dès qu'il est question de littératchure, il s'exprime avec trop de fougue et de conviction pour qu'on ose lui dire qu'il exagère. Car B. vomit les tièdes. Malgré tout, je l'apprécie sincèrement. Moi qui ai tant besoin de plaire, j'admire sa capacité à se faire détester, et notre libre association fonctionne depuis des années : à cause de mes pastiches, il me prête un pouvoir de nuisance que je n'ai pas, et moi, je lui prête mon studio quand il «monte» à Paris pour voir une maîtresse ou assister à un cocktail (B. habite en province mais ne rate quasiment aucun cocktail littéraire, quitte à s'y inviter lui-même).

[Lu le vendredi 24 août 2023, Plon Pocket, p. 54-55]