Épictète
Né vers 50, Épictète fut un esclave affranchi dont l'enseignement oral fut transcrit par Arrien dans les Entretiens et le Manuel. Il mourut vers 130.
Entretiens Livre
I
Chapitre XVII: Que la logique est indispensableLa logique est nécessaire au bon usage de la volonté(24)
Qui peut vaincre une tendance, sinon une autre tendance? un désir ou
une
aversion, sinon une autre aversion? (25) Si l'on me menace de mort,
dis-tu, on
me contraint? Ce n'est pas cette menace qui te contraint d'agir, c'est
l'opinion
que tel ou tel acte est préférable à la mort; (26) c'est donc bien
encore ton
jugement qui t'y oblige; c'est la volonté qui oblige la volonté. ***** Livre IIIChapitre XVI: Des précautions à prendre quand on étend ses relationsNous devons ou convertir nos compagnons ou nous rendre semblables à eux(1)
Lorsque l'on noue avec d'autres des relations plus intimes dans des
conversations, des repas, ou dans quelque occasion de rencontre, il
faut nécessairement
ou bien se rendre semblable à eux ou bien les transformer pour les
rendre
semblables à soi. (2) Et en effet, si on pose un charbon éteint sur un
foyer,
ou bien il éteindra le foyer, ou bien le foyer l'enflammera. (3) Devant
un tel
péril, il faut prendre des précautions quand on noue des relations de
ce genre
avec des profanes et se rappeler que, en se frottant à un objet couvert
de
suie, on ne peut éviter de se noircir. *****
Livre
IV
Chapitre I: De la libertéNul méchant n'est libre(1)
Est libre celui qui vit comme il veut, qu'on ne peut ni contraindre ni
empêcher
ni forcer, dont les volontés sont sans obstacles, dont les désirs
atteignent
leur but, dont les aversions ne rencontrent pas l'objet détesté. (2)
Qui veut
vivre dans le péché? - Personne. - Qui veut vivre dans l'erreur,
l'emportement, l'injustice, l'intempérance, la plainte de son sort,
l'avilissement? - Personne. (3) - Donc nul méchant ne vit comme il
veut, donc
nul méchant n'est libre. (4) Et qui veut vivre dans le chagrin, la
crainte,
l'envie, la pitié, les désirs non satisfaits, la rencontre des objets
qu'on déteste
et n'ait pas d'échec dans ses désirs? - Pas un. - Donc pas un n'est
libre. ******* ManuelII Rappelle-toi
que le propos avoué du désir est d'obtenir l'objet désiré, que le
propos de
l'aversion est de ne pas tomber sur l'objet d'aversion; celui qui,
éprouvant un
désir, manque son objet n'est pas heureux; celui qui, éprouvant une
aversion,
tombe sur son objet est malheureux. Si donc tu réserves ton aversion
aux choses
contraires à la nature parmi celles qui dépendent de toi, tu ne
tomberas sur
aucune de celles que tu as en aversion; mais si tu as en aversion la
maladie, la
mort ou la pauvreté, tu seras malheureux. Enlève donc ton aversion de
tout ce
qui ne dépend pas de nous, et transporte-la sur les choses contraires à
la
nature parmi celles qui dépendent de nous. Quant au désir, supprime-le
complètement
pour l'instant; car si tu désires l'une des choses qui ne dépendent pas
de
nous, il est impossible que tu sois heureux; quant à celles qui
dépendent de
nous, et qu'il serait beau de désirer, aucune n'est encore à ta portée.
Use
seulement de la tendance et de son contraire, et que ce soit
légèrement, avec
des réserves, en souplesse. IV Quand tu vas entreprendre une œuvre quelconque, remets-toi dans l'esprit quelle est cette œuvre. Si tu sors te baigner, représente-toi ce qui se passe au bain: on vous éclabousse, on vous bouscule, on vous injurie, on vous vole; tu entreprendras cette œuvre avec plus d'assurance, si tu te dis tout de suite: « Je veux me baigner, et aussi garder ma volonté en accord avec la nature. » Et ainsi pour chaque œuvre. Car de cette façon, si quelque obstacle t'empêche de te baigner, ta réponse sera prête: « Mais je ne voulais pas seulement cela, je voulais aussi garder ma volonté en accord avec la nature; or je ne la garderai pas telle, si je m'irrite contre ce qui arrive. ». V C'est
le fait d'un ignorant d'accuser les autres de ses propres échecs; celui
qui a
commencé de s'instruire s'en accuse soi-même; celui qui est instruit
n'en
accuse ni autrui ni soi-même. XV Souviens-toi
que tu dois te conduire comme dans un banquet: un plat qui fait le tour
de la
table est-il près de toi? Étends la main et prends ta part proprement.
S'il s'éloigne,
ne le retiens pas. Il n'est pas encore là? Ne jette pas de loin ton
désir sur
lui, mais patiente jusqu'à ce qu'il soit près de toi. XXV Quelqu'un
ne t'a pas convié à son banquet? C'est que tu n'as pas donné à l'hôte
le
prix auquel il vend son dîner; il le vend au prix de la flatterie, au
prix de
la sollicitude. Donne donc, si tu y trouves ton avantage, le prix
correspondant.
Mais si tu veux à la fois ne pas lâcher ce que tu as et recevoir ce que
tu désires,
tu es insatiable et stupide. Tu n'as donc rien qui remplace ce dîner?
Si fait;
tu as de n'avoir pas loué qui tu ne voulais pas louer, de n'avoir pas
supporté
les insolences de ses portiers. XLVI 1.— Où que tu te trouves, ne te
présente jamais
comme philosophe. Ne parle pas longuement, devant des profanes, des
principes de la philosophie, agis plutôt suivant ces principes. Par
exemple, dans un banquet, ne dis pas comment on doit manger, mange
seulement comme il faut. Souviens-toi de Socrate: il
s'était si bien débarrassé de toute envie de briller que, lorsqu'on
venait le trouver pour se faire présenter à des philosophes, c'était
lui qui conduisait les gens, tant il lui était égal d'être méconnu.
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