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Sommaire de l'anthologie

L'anthologiste

Cont@ct

 

José Maria Eça de Queiros

 

 

Né le 25 novembre 1845, portugais

 

Singularités d'une jeune fille blonde

L'existence, en ce temps, était casanière et frugale. Une grande simplicité de manières facilitait les rapports sociaux. les esprits étaient plus ingénus, les sentiments moins compliqués.

Dîner gaiement dans un jardin, sous les treilles, en regardant courir l'eau des ruisseaux, pleurer aux mélodrames, qui rugissaient dans les décors du Salitre éclairés aux quinquets, étaient les plaisirs qui contentaient la bourgeoisie prudente.

De plus, l'époque était confuse et révolutionnaire et rien ne rend l'homme recueilli, proche de son foyer, simple et aisément heureux, comme la guerre. C'est la paix, qui lâche la bride de l'imagination et cause les impatiences du désir.

***

Civilisation

Partie I

De l'amour, il n'avait connu que le miel, ce miel que l'amour, invariablement, concède à ceux qui le pratiquent comme les abeilles: avec parcimonie et mobilité.

**

Partie ?

Le soir, après un chevreau rôti au four, auquel Maître Horace aurait dédié une Ode (et peut-être même un carmen héroïque), nous conversâmes sur le destin et la Vie. Je citai - malice discrète - Schopenhauer et l'Ecclésiaste... Mais Hyacinthe haussa les épaules avec un dédain assuré. Sa confiance dans ces deux sombres explicateurs de la vie avait disparu, irrémédiablement, sans pouvoir jamais revenir, comme une brume que le soleil dissipe.

Terrible niaiserie! Affirmer que l'existence n'est qu'une longue illusion, c'est bâtir un luxueux système sur un point de vue spécial et étroit de la vie, en laissant hors de la doctrine tout le reste, comme une contradiction permanente et superbe. C'était comme si lui, Hyacinthe, s'étant piqué à une ortie poussée dans cette cour, eût déclaré triomphalement: "Voici une ortie! Tout le domaine de Torges, par conséquent, est une masse d'orties." Mais il aurait suffi que le visiteur levât les yeux pour voir les moissons, les pommiers et les vignes.

Du reste, de ces deux illustres Pessimistes, l'un, l'Allemand, que connaissait-il de la vie, dont il avait fait, avec une doctorale majesté, une théorie définitive et douloureuse? Tout ce que peut connaître celui qui, comme ce génial farceur, a vécu cinquante ans dans une sombre hôtellerie de province, quittant à peine ses livres pour causer, autour d'une table d'hôtes, avec les sous-lieutenants de la garnison!

Et l'autre, l'Israélite, l'homme du Cantique, le très pédant roi de Jérusalem? Il ne découvre que la vie est une illusion qu'à soixante-quinze ans, quand le pouvoir s'échappe de ses mains tremblantes et quand son sérail de trois cent concubines devient ridiculement superflu pour sa carcasse frigide.

L'un dogmatise funèbrement sur ce qu'il ne sait pas, et l'autre sur ce qu'il ne peut plus.

Mais que l'on donne à ce bon Schopenhauer une vie aussi complète et aussi pleine que celle de César, et où sera son schopenhauérisme?

Que l'on restitue à ce sultan frotté de littérature, qui construisit et pontifia tant à Jérusalem, sa virilité, et où sera l'Ecclésiaste?

D'ailleurs qu'importe de bénir ou de maudire la vie? Douloureuse ou fortunée, féconde ou vaine, elle doit être la vie.

Fous, ceux qui, pour la traverser s'enveloppent dès le seuil dans de lourds voiles de tristesse et de désillusion, de sorte que toutes les lieues de leur route leur semblent escarpées, celles qui sont vraiment sombres comme celles qu'éclaire un aimable soleil. Sur la terre, tout vit, et l'homme est le seul à sentir la douleur et la déception de l'existence. Et plus il les sent, plus il augmente et enrichit l'ouvre de cette intelligence qui le fait homme et qui le sépare du reste de la nature, inerte et sans pensée.

C'est au comble de la civilisation qu'il éprouve le maximum de dégoût. La sagesse pourtant est de reculer jusqu'à cet honnête minimum de civilisation qui consiste à avoir un toit de chaume, un morceau de terre et le grain pour l'y semer.

En un mot, pour retrouver la félicité, il faut revenir au Paradis terrestre et rester là, tranquille, avec sa feuille de vigne, entièrement dépourvu de civilisation, à contempler l'agneau bondissant dans le thym, sans rechercher, ni même désirer, l'arbre funeste de la science!