Né en 1887,
écrit en français
Les
Pâques à New York
Les
vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et
les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,
D'étranges
mauvaises fleurs flétries, des orchidées,
Calices
renversés ouverts sous vos trois plaies.
Votre
sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu.
Elles
ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.
*
Seigneur,
rien n'a changé depuis que vous n'êtes plus Roi.
Le
Mal s'est fait une béquille de votre Croix.
***
Moravagine
Chapitre
k: "Mascha" [p. 61-65]
L'amour
est masochiste. Ces cris, ces plaintes, ces douces alarmes, cet état d'angoisse
des amants, cet état d'attente, cette souffrance latente, sous-entendue, à
peine exprimée, ces mille inquiétudes au sujet de l'absence de l'être aimé,
cette fuite du temps, ces susceptibilités, ces sautes d'humeur, ces rêvasseries,
ces enfantillages, cette torture morale où la vanité et l'amour-propre sont en
jeu, l'honneur, l'éducation, la pudeur, ces hauts et ces bas du tonus
nerveux, ces écarts de l'imagination, ce fétichisme, cette précision cruelle
des sens qui fouaillaient et qui fouillent, cette chute, cette prostration,
cette abdication, cet avilissement, cette perte et cette reprise perpétuelle de
la personnalité, ces bégaiements, ces mots, ces phrases, cet emploi du
diminutif, cette familiarité, ces hésitations dans les attouchements, ce
tremblement épileptique, ces rechutes successives et multipliées, cette
passion de plus en plus troublée, orageuse et dont les ravages vont
progressant, jusqu'à la complète inhibition, la complète annihilation de l'âme,
jusqu'à l'atonie des sens, jusqu'à l'épuisement de la moelle, au vide du
cerveau, jusqu'à la sécheresse du cœur, ce besoin d'anéantissement, de
destruction, de mutilation, ce besoin d'effusion, d'adoration, de mysticisme,
cet inassouvissement qui a recours à l'hyperirritabilité des muqueuses, aux
errances du goût, aux désordres vaso-moteurs ou périphériques et qui fait
appel à la jalousie et à la vengeance, aux crimes, aux mensonges, aux
trahisons, cette idolâtrie, cette mélancolie incurable, cette apathie, cette
profonde misère morale, ce doute définitif et navrant, ce désespoir, tous ces
stigmates ne sont-ils point les symptômes mêmes de l'amour d'après lesquels
on peut diagnostiquer, puis tracer d'une main sûre le tableau clinique du
masochisme?
Mulier
tota in utero, disait Paracelse; c'est pourquoi toutes les femmes sont
masochistes. L'amour, chez elle, commence par la crevaison d'une membrane pour
aboutir au déchirement entier de l'être au moment de l'accouchement. Toute
leur vie n'est que souffrance; mensuellement elles en sont ensanglantées. La
femme est sous le signe de la lune, ce reflet, cet astre mort, et c'est pourquoi
plus la femme enfante, plus elle engendre la mort. Plutôt que la génération,
la mère est le symbole de la destruction, et quelle est celle qui ne préférerait
tuer et dévorer ses enfants, si elle était sûre par là de s'attacher le mâle,
de le garder, de s'en compénétrer, de l'absorber par en bas, de le digérer,
de le faire macérer en elle, réduit à l'état de fœtus et de le porter ainsi
toute sa vie dans son sein? Car c'est à ça qu'aboutit cette immense machinerie
de l'amour, à l'absorption, à la résorption du mâle.
L'amour
n'a pas d'autre but, et comme l'amour est le seul mobile de la nature, l'unique
loi de l'univers est le masochisme. Destruction, néant, que cet écoulement
intarissable des êtres; souffrances, cruautés inutiles que cette diversité
des formes, cette adaptation lente, pénible, illogique, absurde de l'évolution
des êtres. Un être vivant ne s'adapte jamais à son milieu ou alors, en
s'adaptant, il meurt. La lutte pour la vie est la lutte pour la non-adaptation.
Vivre c'est être différent. C'est pourquoi toutes les grandes espèces végétales
et zoologiques sont monstrueuses. Et il en est de même au moral. L'homme et la
femme ne sont pas faits pour s'entendre, s'aimer, se fondre et se confondre. Au
contraire, ils se détestent et s'entre-déchirent; et si, dans cette lutte qui
a nom l'amour, la femme passe pour être l'éternelle victime, en réalité
c'est l'homme qu'on tue et qu'on retue. Car le mâle c'est l'ennemi, un ennemi
maladroit, gauche, par trop spécialisé. La femme est toute puissante, elle est
mieux assise dans la vie, elle a plusieurs centres érotogènes, elle sait donc
mieux souffrir, elle a plus de résistance, sa libido lui donne du poids, elle
est la plus forte. L'homme est son esclave, il se rend, se vautre à ses pieds,
abdique passivement. Il abdique passivement. Il subit. La femme est masochiste.
Le seul principe de vie est le masochisme et le masochisme est un principe de
mort. C'est pourquoi l'existence est idiote, imbécile, vaine, n'a aucune raison
d'être et que la vie est inutile.
La
femme est maléfique. L'histoire des civilisations nous montre les moyens mis en
œuvre par les hommes pour se défendre contre l'avachissement et l'effémination.
Arts, religions, doctrines, lois, immortalité ne sont que des armes inventées
par les mâles pour résister au prestige universel de la femme. Hélas! cette
vaine tentative est et sera toujours sans résultat aucun, car la femme triomphe
de toutes les abstractions.
Au
cours des âges, et avec plus ou moins de retard, on voit toutes les
civilisations péricliter, disparaître, s'enfoncer, s'abîmer en rendant
hommage à la femme. Rares sont les formes de sociétés qui ont pu résister à
cet entraînement durant un certain nombre de siècles, ainsi que le collège
contemplatif des brahmanes ou la communauté catégorique des Aztèques; les
autres, comme celle des Chinois, n'ont pu qu'inventer des modes compliqués de
masturbation ou de prières pour calmer la frénésie féminine, ou, comme les
chrétiennes et les bouddhiques, ont eu recours à la castration, aux pénitences
corporelles, aux jeûnes, aux cloîtres, à l'introspection, à l'analyse
psychologique pour donner un nouveau dérivatif à l'homme. Aucune civilisation
n'a jamais échappé à l'apologétique de la femme, à part quelques rares sociétés
de jeunes mâles guerriers et ardents, dont l'apothéose et le déclin ont été
aussi rapides que brefs, telles que les civilisations pédérastiques des
Ninivites et des Babyloniens, plutôt consommatrices que créatrices, qui ne
connaissaient nul frein à leur activité fiévreuse, nulle limite à leur appétit
énorme, nulle borne à leurs besoins, et qui se sont pour ainsi dire dévorées
elles-mêmes en disparaissant sans laisser de traces, ainsi que meurent toutes
les civilisations parasitaires en entraînant tout un monde derrière elles. Il
n'y a pas un homme sur dix millions qui échappe à cette hantise de la femme et
qui, en l'assassinant, lui porterait un coup direct; et l'assassinat est encore
le seul moyen efficace que cent milliards de générations de mâles et mille et
mille siècles de civilisation humaine ont trouvé pour ne pas subir l'empire de
la femme. C'est dire que la nature ne connaît pas le sadisme et que la grande
loi de l'univers, création et destruction, est le masochisme.
Mascha
était masochiste, et, en tant que Juive, elle l'était doublement; car y a-t-il
eu un peuple au monde plus profondément masochiste qu'Israël? Israël s'était
donné un Dieu d'orgueil, à seule fin de le bafouer. Israël avait accepté une
loi rigide, à seule fin de la transgresser. Et toute l'histoire d'Israël est
l'histoire de cet outrage et de cette transgression. On voit le peuple élu
trahir et vendre son dieu, puis marchander la loi. Et l'on entend les menaces et
les malédictions tomber du ciel. Les coups pleuvent. Les calamités s'abattent.
Israël souffre, pleure, gémit, se plaint en exil et se lamente en captivité.
Oh, quel amour! la main du Seigneur s'appesantit sur lui et l'écrase. Israël
se contorsionne, Israël verse des larmes de sang. Mais Israël jouit de sa
bassesse et se délecte de son avilissement. Quelle volupté et quel orgueil! Être
le peuple maudit, être le peuple frappé jusque dans sa dernière génération,
être le peuple dispersé par les verges mêmes du Seigneur-Dieu, et avoir le
droit de se plaindre, de se plaindre à haute voix, de chercher chicane et de
crier son infamie, et avoir la mission de souffrir, d'adorer son mal, de le
cultiver et de contaminer secrètement les peuples étrangers. Cette perversité
et ce raffinement de toute une nation expliquent la grande diffusion des Juifs
et leur étrange fortune dans le monde, bien que leur action soit partout délétère.
Les Juifs seuls ont atteint cet extrême déclassement social auquel tendent
aujourd'hui toutes les sociétés civilisées et qui n'est que le développement
logique des principes masochistes de leur vie morale. Tout le mouvement révolutionnaire
moderne est entre les mains des Juifs, c'est un mouvement masochiste juif, un
mouvement désespéré, sans autre issue que la destruction et la mort: car
telle est la loi du Dieu de Vengeance, du Dieu de Courroux, de Jéhovah le
Masochiste.
*
Tu
ne sais pas ce que c'est que les femmes, toi. Les femmes ont le goût du
malheur. Elles ne sont heureuses que quand elles peuvent se plaindre, quand
elles ont raison, quand elles ont raison, quand elles ont cent fois raison
d'avoir raison de se plaindre, quand elles peuvent s'avilir avec volupté, avec
frénésie, passionnément, dramatiquement. Et, comme elles sont cabotines dans
l'âme, il leur faut une galerie, un public, même imaginaire, avant de s'offrir
en holocauste. Une femme ne se donne jamais, elle s'offre toujours en sacrifice.
C'est pourquoi elle croit toujours agir selon un principe supérieur. C'est
pourquoi chacune d'elles est intimement convaincue que tu lui fais violence et
prend le monde entier à témoin de la pureté de ses intentions. La
prostitution s'explique non pas par un besoin de dépravation, mais par ce
sentiment égocentrique qui ramène tout à soi et qui fait que les femmes
considèrent leur corps comme le bien le plus précieux, unique, rare; aussi
elles y mettent le prix, c'est une question d'honneur. Ceci explique ce fond de
vulgarité que l'on trouve même chez les plus distinguées et ces aventures de
cuisinière qui arrivent communément aux plus nobles. Comme son rôle est de séduire,
la femme se croit toujours au centre de l'univers, surtout quand elle est tombée
très bas. L'avilissement de la femme est sans fond, de même sa vanité. [p. 109-110]
**
Chapitre
n: "Les Indiens bleus"
La
fête religieuse la plus importante est celle qui se célèbre le quatrième
mois de la lune et qui n'est pas sans analogies avec les pratiques sacrées et
profanes usitées à l'époque de l'expiation dans les pays chrétiens. C'est la
fête du "Jeune Homme Pénitent", jeune homme qui est destiné à
l'immolation, autant dire le Christ des Jivaros. On choisit parmi les captifs le
plus beau. Dès lors celui-ci est préposé au grand acte de la Rédemption. Il
est habillé avec magnificence. Des parfums brûlent sur son passage, on répand
le sang des animaux, on lui présente des fleurs, des fruits et des graines.
Autrefois on lui sacrifiait les nouveau-nés. Lui circule en toute liberté et
visite tous les villages. Partout la foule se prosterne pour l'adorer, car il
est l'image vivante, l'image humaine du soleil. Non seulement il mène durant un
mois joyeuse vie, toutes les cases lui sont ouvertes, on lui prépare les
meilleurs mets, il mange les plus beaux morceaux de venaison et on le régale de
miel sauvage et de vin de palmier fermenté, mais encore il épouse publiquement
quatre jeunes vierges d'une rare beauté qui lui sont spécialement destinées.
Les femmes des chefs s'empressent d'obtenir ses faveurs et celles du vulgaire
lui cèdent la primeur de leurs filles. Toutes celles qu'il féconde sont réputées
saintes, deviennent tabous, vont se cloîtrer dans les acclas
des villages-couvents où elles n'ont plus aucun commerce avec les leurs. C'est
parmi sa progéniture que l'on choisira plus tard le successeur d'un chef décédé.
Au jour fatal, les prêtres s'emparent de cet homme déifié et lui arrachent le
cœur, tandis que le peuple chante:
-
Helelà aujourd'hui! Nous n'avons plus besoin de Toi pour Roi, ni du Soleil pour
Dieu. Nous avons déjà un Dieu que nous adorons, et un Chef pour lequel nous
sommes prêts à mourir. Notre Dieu est l'Océan d'Eau qui nous entoure et tout
le monde peut voir qu'il est plus grand que le Soleil et qu'il nous donne notre
nourriture en abondance. Notre Chef c'est Ton Fils, oui, notre frère Aîné.
Helelà, aujourd'hui!
**
"Pro
Domo"
J'ai
nourri, élevé un parasite à mes dépens. A la fin je ne savais plus qui de
nous plagiait l'autre. Il a voyagé à ma place. Il a fait l'amour à ma place.
Mais il n'y a jamais eu réelle identification car chacun était soi, moi et
l'Autre. Tragique tête-à-tête qui fait que l'on ne peut écrire qu'un livre
ou plusieurs fois le même livre. C'est pourquoi tous les beaux livres se
ressemblent. Ils sont tous autobiographiques. C'est pourquoi il y a un seul
sujet littéraire: l'homme. C'est pourquoi il n'y a qu'une littérature: celle
de cet homme, de cet Autre, l'homme qui écrit.
*
Vous
vous êtes libéré de votre double, alors que la plupart des hommes de lettres
restent victimes et prisonniers du leur jusqu'à la mort, ce qu'ils disent être
de la fidélité vis-à-vis de soi-même, alors que c'est neuf fois sur dix un
cas typique de possession.
***
Rhum
(L'aventure de Jean Galmot)
Chapitre
9: "Un homme libre"
Je
n'ai pas pour objet, en écrivant ce récit, d'instruire le public. Que peut-on
enseigner? Dénoncer les crimes de l'argent est une gageure dans un pays soumis
à une oligarchie financière à qui appartiennent toutes les forces agissantes:
la justice, la presse.
Que
peut-on attendre d'un peuple domestiqué? L'esprit ne connaît d'autre
nourriture que les journaux de nos maîtres.
***
Le
Lotissement du Ciel
Mort
au monde, n'avoir pour se diriger qu'un consolateur de Job ou un ouvrier de
Babel, quoi de plus décevant, d'hallucinant, d'inquiétant, de stupéfiant,
quand Dieu mène l'âme par le très ardu chemin de l'obscure contemplation et
que la vie spirituelle se dessèche et meurt de la soif de la connaissance
intime et d'impatience et se languit, le doute dans la prière, la langue démangée
par l'imprononçable et paralysée et brûlée à vif par l'innommable,
l'attention désorientée par sa propre émanation qui l'enfièvre et la
foudroie de chimères, d'imaginations, de visions, l'illusion dépassée, l'idée
fixe, le corps se refusant de suivre, se cabrant, se rebiffant, suant, écumant,
pour se rendre enfin et se laisser aller épuisé, tomber, se coucher raide
comme mort, mort au monde, absent, vertigineusement absent, enfoui dans son
fumier, exposé sur la table du sacrifice, hostie cachée ou en croix au
carrefour des chemins, poussière qui cimente les dalles foulées, usées, effacées,
fendues, porche, et tout craque et tout s'effondre lors de la résurrection des
os et de la chair.
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