Albert Camus

 

 

Né en 1913, il est mort en janvier 1960 d'un accident de la route.

 

Les justes

Acte deuxième

Kaliayev: - Les hommes ne vivent pas que de justice.

Stepan: - Quand on leur vole le pain, de quoi vivraient-ils donc, sinon de justice?

Kaliayev: - De justice et d'innocence.

Stepan: - L'innocence? Je la connais peut-être. Mais j'ai choisi de l'ignorer et de la faire ignorer à des milliers d'hommes pour qu'elle prenne un jour un sens plus grand.

Kaliayev: - Il faut être bien sûr que ce jour arrive pour nier tout ce qui fait qu'un homme consente à vivre.

Stepan: - J'en suis sûr.

Kaliayev: - Tu ne peux pas l'être. Pour savoir qui, de toi ou de moi, a raison, il faudra peut-être le sacrifice de trois générations, plusieurs guerres, de terribles révolutions. Quand cette pluie de sang aura séché sur la terre, toi et moi serons mêlés depuis longtemps à la poussière.

Stepan: - D'autres viendront alors, et je les salue comme mes frères.

Kaliayev, criant: - D'autres... Oui! Mais moi, j'aime ceux qui vivent aujourd'hui sur la même terre que moi, et c'est eux que je salue. C'est pour eux que je lutte et consens à mourir. Et pour une cité lointaine, dont je ne suis pas sûr, je n'irai pas frapper le visage de mes frères. Je n'irai pas ajouter à l'injustice vivante pour une justice morte;

***

La Chute

La sentence que vous portez sur les autres finit par vous revenir dans la figure, tout droit, et y pratique quelques dégâts.